Mardi 24 avril 2001

Archanes - Knossos

Cimetière de Fourni

Taverne Dictamon

Archanes

Vathipétro

Knossos

Hôtel Galaxy


Notre visite commence par la nécropole de Fourni, située à 15 km au sud d'Héraklion, non loin de Knossos. Nous trouvons d'abord le gros bourg d'Archanes, implanté dans une cuvette au sol fertile. On y pratique presqu'exclusivement la culture de la vigne "en treille" et l'on produit un raisin de table de belle qualité appelé rozaki, que nous ne goûterons pas.

Le nom d'Archanes dont la racine "arch" désigne l'eau explique sans doute que coulent des sources en abondance. On pourrait y découvrir aussi la tombe de Zeus, le roi des rois. Sur quel roc écarté ? Dans quelle grotte scellée ? Cicéron et Diodore de Sicile la situent aux alentours du palais de Knossos. Mais c'est l'apôtre Paul qui met à mal cette croyance. Il écrit péremptoire : "Les Crétois sont toujours des menteurs". Les dires des écrivains antiques sur le lieu présumé de la tombe de Zeus, n'étaient que fariboles pour ce nouveau chrétien. Nous ne chercherons pas la tombe du grand Zeus, si près de son berceau dans l'antre de Dikté. Mais nous visiterons Fourni, nécropole minoenne de première importance.

C'est un lieu magnifique couvert de vignes, d'oliviers, de cyprès, de pins et de lauriers. Une sorte de parc archéologique, l'un des plus beaux de Crète. La nécropole est située sur une petite colline entre Epano et Kato Archanes. On y accède par un chemin pierreux, montueux, rempli de senteurs délicieuses. Les fouilles effectuées ont exhumé 26 bâtiments funéraires, 5 tombes à Tholos et bien d'autres tombeaux. Ce vaste cimetière fut en usage pendant plus de 1000 ans (2 400 à 1 200 avant J.-C.). On y a découvert des sépultures royales, garnies de mobiliers qui disent l'opulence des princes enterrés.

On peut aujourd'hui reconnaître des systèmes d'évacuation des eaux de pluies, des bâtiments annexes jouxtant les enclos funéraires où avaient lieu les rites d'inhumation. On saisit le rapport entre le monde des morts et les espaces de vie faits de sanctuaires, de centres palatiaux et d''agglomérations. Les nombreux objets importés, trouvés dans la nécropole de Fourni, livrent des informations quant aux relations que les habitants d'Archanes entretenaient avec les peuples des Cyclades, de l'Égypte et d'Orient : scarabées égyptiens, têtes d'idoles cycladiques garnissent les vitrines du musée d'Héraklion.

Nous arrivons au premier bâtiment. C'est l'enceinte funéraire mycénienne la plus importante de Crète. Sept fosses creusées dans la roche tendre divisent l'espace rectangulaire sur trois niveaux différents. Ces fosses bien conservées permettent d'imaginer les rites d'inhumation, les sarcophages, le mobilier funéraire opulent qui en fut retiré et que l'on admire au musée : vases en bronze, peignes d'ivoire, pyxides ou boîtes rondes à couvercles, contenant des colliers. Des sceaux d'améthyste, des bijoux travaillés dans l'or, la sardoine, l'agate… profusion d'objets précieux qui miroitent à l'abri des vitrines.

Plus loin s'élèvent des tombes à Tholos, constructions circulaires aux parois verticales, faites de grosses pierres taillées. Des stèles funéraires avaient été dressées, sur certaines d'entres elles, attestant la présence des grecs mycéniens. Ces tumulus ont la même forme que celle dite des trésors d'Atrée, à Mycènes, dans le Péloponèse. Je frissonne en songeant au sang noir des Atrides, à la sombre famille meurtrière et maudite. Dans l'une des chambres fut mise à jour une sépulture royale, un sarcophage de terre cuite. Sa décoration reprenant le motif cultuel du taureau immolé, des cornes consacrées, le rapproche du sarcophage découvert à Haghia Triada. On pratiquait des sacrifices dans ces lieux souterrains : culte chtonien rendu aux divinités infernales ? Tout, dans l'art minoen évoque le rituel taurin pratiqué sur cette île. Les bagues en or portent, ciselées, le corps de l'animal, la double hache du sacrifice. On imagine, dans la chambre du tholos, quelque prêtresse saisissant les cornes épaisses du taureau, comme Europe enlevée qui s'agrippait à elles, étranges gouvernails. La hache d'or à deux lames siffle dans l'air. Elle frappe la bête ligotée. Le sang jaillit, pieusement recueilli. Les hymnes s'élèvent, étouffées sous les voûtes.

Taureau sacré, adoré comme un dieu, il est partout représenté. Taureau solaire, libre et joueur, il se prête aux bonds des acrobates sur les terrasses claires. Taureau offert en sacrifice, il rejoint le ventre de la terre où son sang coule, porté en libation autour du lit funèbre.

Identifié à Zeus, il protégeait la Crète à l'égal de Thalos, premier géant de bronze. Aujourd'hui, mis à mort sous les huées… ollé, il meurt pour le plaisir des aficionados ou bien il court toujours, saisi par Picasso, le taureau-minotaure, peintre d'un nouveau mythe, étreignant les membres dispersés d'une nouvelle Europe.

Notre promenade se poursuit dans le dédale de la nécropole millénaire. Plusieurs fois détruit et reconstruit, ce cimetière dit la prospérité de la ville d'Archanes. Après le premier séisme de 1700 avant notre ère, les palais s'élèvent à nouveau, la marine crétoise affirme son hégémonie. Des relations pacifiques et commerciales s'installent avec les rois d'Égypte et d'Orient. Nouveau séisme en 1450, qui dévaste la Crète entière et met fin à la période éclatante d'Archanes. Mais la vie continue dans cet endroit fertile. Les Achéens installés sur ce site laissent des témoignages de leur langue écrite, sur des tablettes conservées. On suit la trace des divers occupants : Achéens du Péloponnèse, Doriens venus du nord et plus tard les Romains qui conquièrent la Crète à l'aube de notre ère. Nous chevauchons le temps, les mondes engloutis. La chouette d'Athéna, chère aux budistes, vogue sur les millénaires.

Quant à nous, pesamment, nous descendons le chemin escarpé, retrouvons Archanes, gros bourg paisible et souriant. Que sont les palais devenus ? Où est le musée de la ville ? Il se présente portes closes. Ouf ! Nous aurons le temps de flâner dans les rues commerçantes, de boire à la santé des morts et des vivants, avant de déjeuner à la taverne Dictamon, au milieu des bosquets, des pampres de la vigne qui recouvrent nos têtes. Quant au vin, il a rempli nos verres que nous avons choqués en l'honneur de Dionysos, afin qu'il nous procure le délire mystique qui mettrait sous nos yeux la splendeur éclatante des palais minoens.

Le petit palais minoen d'Archanes (à 15 kilomètre au sud d'Héraklion). Les fouilles, dans le village, ont mis en évidence un bâtiment bien préservé qui aurait servi de palais d'été.

À ce propos, vous pouvez aussi parcourir les pages du site du Ministère Grec de la Culture (en Anglais) intitulées : "Archaeological site of Phourni at Archanes".

À Vathipétro s'étendent les ruines d'une grande villa minoenne, domaine appartenant à un noble local. C'est le fameux archéologue, Spiridon Marinatos, que nous avons déjà croisé à Akrotiri sur l'île de Santorini, qui réalisa les fouilles de ce site en 1949. Les vestiges laissent voir un mégaron et une pièce contenant un pressoir à vin, daté de -1600, un pressoir à olives, des salles de tissage et le four d'un potier.


Voir : "Minoan "Megaron" at Vathypetro" (en anglais)

La Taverne Dictamon, à Archanes, nous a offert un havre réparateur après la montée vers Fourni.

Avant de parvenir au Palais de Knossos, nous revient en mémoire l'histoire ou plutôt la légende du roi Minos, fils de la belle Europe et de Zeus immortel. Sir Evans pensait que ce palais royal était le labyrinthe de Dédale. Archéologue passionné, il consacra sa vie et sa fortune à la restauration du site de Knossos, jusqu'à sa mort en 1941. Sur Sir Evans, en anglais.

Sa reconstitution personnelle a suscité des controverses mais il fut le premier à faire revivre le monde minoen. Que l'on aime ou pas cette re-création, elle ne nuit pas à la légende. On se plaît à chercher, à deviner dans cet espace immense, quelque part enfoui, introuvable, le fameux labyrinthe où fut caché le Minotaure, monstre Bâtard du roi Minos. La légende évoquée par tant d'auteurs anciens sera donc le fil conducteur de notre visite à Knossos. Fil d'Ariane, bien entendu.

Chacun d'entre nous se souvient des "Métamorphoses" d'Ovide, de ses contes fantastiques où la fiction est reine. Les héros mortels ou immortels sont soumis à mille transformations. Ces êtres polymorphes nés de la fusion des formes animales, minérales et végétales, sources d'inspiration pour les artistes, sont nos chimères familières.

De grands auteurs ont parlé de Minos : Homère, Platon et Thucydide évoquent le souverain Minos prince de la Crète, roi des mers, sage législateur. Mais c'est Ovide le précieux narrateur de cette légende inoubliable.

On sait que des amours de Zeus et d'Europe, la princesse phénicienne, naquirent trois fils : Minos, Rhadamante et Sarpédon. Mais seul compte Minos, comblé par son père qui lui apprend les lois justes et sages pour gouverner. Il construit des palais, se rend le maître des rivages qu'il fait garder par le robot Talos. Il règne, il est comblé. Béni des dieux, grisé par son pouvoir, il demande au ciel de faire naître un taureau des eaux bleues de la mer. Poséidon exauce son souhait et surgit, de l'écume, un taureau magnifique d'une blancheur neigeuse, signe de distinction. Minos se doit d'en faire offrande au donateur, pour l'honorer. Mais fier de la beauté du superbe animal, il préfère le garder comme spécimen unique dans son troupeau. C'est ainsi qu'il provoque la colère du dieu marin et déclenche l'avalanche de malheurs qui s'abattront sur lui.

Pour le punir, Poséidon jette un sort sur le couple royal et s'incarne dans le bel animal. Pasiphaë la reine, victime d'un maléfice, s'éprend du taureau blanc qu'elle se prend à aimer contre nature (La Crète, île des amours taurines, décidément…). La reine, en proie à sa passion, s'adresse à l'astucieux Dédale, "le fabriquant". Elle convainc l'architecte de lui construire un leurre afin d'approcher le taureau. Celui-ci obéit, fabrique une vache de bois évidée, montée sur roues. Il ajuste sur l'objet la peau d'une génisse fraîchement dépecée. Phasiphaë peut se glisser dans le corps ainsi fait. Et cette imitation, conforme à la nature bestiale, trompe le taureau blanc. De cet accouplement naquit le Minotaure : "le monstre à double forme, l'être ambigu, moitié taureau, moitié jeune homme", comme le décrit Ovide. Un monstrueux bâtard, objet d'horreur, de déshonneur pour le roi de Knossos. Ayant appris le vilain rôle joué par son sujet Dédale, Minos le somme de construire une prison au fond d'un souterrain. Dédale y bâtit un lacis de chemins compliqués, remplis de pièges dangereux, de pistes embrouillées, fermé par une unique porte inaccessible à tout autre que lui, Dédale : un labyrinthe ! Minos y parque le fils bâtard, vorace, à l'appétit d'anthropophage. Androgeos, fils légitime du roi Minos, vient d'être assassiné dans l'Attique. Furieux, Minos impose aux Athéniens un féroce tribut : ils devront chaque année livrer, au prince de Knossos, sept filles et sept garçons, chair tendre et fraîche que croquera l'ogre de Crète.

Thésée, prince athénien, se joint, un jour, aux victimes désignées pour venger sa patrie. Tous débarquent sur l'île, promis au monstrueux festin. Mais le beau prince conquiert d'emblée le cœur d'Ariane, "la fille de Minos et de Phasiphaë", la sœur de Phèdre. Elle lui offre son aide, trahit son père en même temps. Thésée muni du peloton de fil donné par la princesse, le déroule dans le lacis du labyrinthe jusqu'au repaire du Minotaure. Il l'affronte et le tue.

Puis, grâce au fil sauveur, il trouve son chemin et sort de la prison. Ariane l'attend qu'il enlève en vainqueur. Ils gagnent le rivage, appareillent et font voile jusqu'à l'île de Naxos, où le prince oublieux laisse Ariane endormie. Phèdre, plus tard l'épouse de Thésée, plaindra sa sœur, la belle abandonnée :

     

"Ariane, ma sœur, de quel amour blessé,
Vous mourûtes au bord où vous fûtes laissée."

(Racine, Phèdre, acte I, scène 3)

Mais Ariane revivra, ranimée par le souffle dionysiaque, du dieu de l'ivresse et du vin. Quant à Minos, furieux, assoiffé de vengeance, trahi par sa femme et sa fille, il décide d'enfermer l'architecte Dédale dans l'ouvrage qu'il a lui-même construit. Que cette prison soit aussi son tombeau ! Mais l'astucieux Dédale fabrique des ailes, s'échappe avec Icare prenant la voie des airs. Son fils s'abimera dans la mer après s'être brûlé à l'ardeur du soleil. Dédale, l'homme-volant, trouve refuge dans l'île de Sicile chez le roi Cocalos. Mais Minos le poursuit, acharné à sa perte. Il retrouve Dédale chez le roi d'Agrigente, exige de Cocalos la remise de Dédale le trop habile "fabriquant" de ses malheurs funestes. Celui-ci, bien en cour auprès des filles du roi, ne sera pas livré et Minos termine sa vie terrestre dans les étuves, aux vapeurs sulfureuses où les princesses l'étouffent et noient ses derniers cris. Le roi peut alors devenir le Juge des Enfers et régner sur les ombres… Depuis Minos figure le héros de la mythologie crétoise.

Nous accomplissons la visite de Knossos selon toutes les règles de l'art. Site occupé dès le néolithique, le premier palais est érigé vers 2000 av. J.-C., détruit trois siècles plus tard, reconstruit puis définitivement ruiné vers 1450, à la suite d'un cataclysme. À l'abandon, il sera réutilisé aux époques grecque et romaine. Homère, célèbre Knossos, capitale de la Crète.

Nous arpentons les cours, les propylées, gravissons le grand escalier, avant de pénétrer dans les appartements royaux aux salles d'apparat recréées par Evans. Nous apprécions ou non la reconstitution : les colonnes rouge sombre des portiques, les fresques, copies des originaux du musée. Nous pouvons, à notre fantaisie, imaginer le roi Minos marchant sous les portiques décorés de la hache bipenne, avant de s'installer sur son trône de gypse entouré de griffons. Dans son mégaron ventilé, la reine nous apparaît vaquant à sa toilette, se fardant au miroir. Les jupes à volants des suivantes bruissent tout autour d'elle. Éternel féminin…

Nous revoyons le prince aux lys, torse nu pris dans un pagne que serre étroitement une ceinture-anneau. Evans, l'archéologue, a composé cette figure à partir de fragments épars de fresques différentes. Mais tel quel, le prince représente le type même du jeune crétois minoen comme le sont les Kouros de la Grèce archaïque.

Nous processionnons le long du couloir, à la suite des porteurs et des porteuses d'offrandes. Pour moi la plus belle de ces reproductions reste la fresque des "Dames en bleu" : trois élégantes aux cheveux noirs, bouclés, tordus comme des serpents, ornés de perles fines, lèvent les mains dans un geste gracieux dévoilant leur buste au corsage ouvert. Leur profil délicat montre un œil en amande, un sourire esquissé de belles coquettes s'exhibant au spectacle. J'imagine les jeux de taureaux en plein air tels que les montre la fresque du galop volant. Des cornes de taureaux ornaient les frontons des palais. Le long de l'aile occidentale, nous trouvons les magasins regorgeant de pithoï, réservoirs d'huile et de vin. Avant de partir, nos pas résonnent sur le pavé dallé de la voie royale, qu'on dit la plus ancienne route d'Europe.

En quittant l'espace théâtral du site de Knossos, où l'on voit reconstruits des pans entiers du Palais de Minos, peints, décorés, parés de fresques séduisantes, j'imagine sans mal l'engouement suscité par les travaux d'Evans, sorte de magicien, capable de ressusciter le monde des anciens Minoens. Paul Morand (1888-1976) écrivain voyageur s'amuse de la crétomanie dont fut saisie l'Europe de la Belle Époque. Knossos est à la mode. À Vienne, Munich, Paris on a la fièvre minoenne. Banques, tavernes, salles de spectacles prennent l'allure de mégaron crétois. Diaguilev, mécène des Ballets Russes, montre aux parisiens extasiés des décors minoïssimes : "Ce n'étaient que colonnes laquées d'un rouge relevé d'or, motifs de poulpes, de spirales, (…) taureaux stylisés, éphèbes à la taille de guêpe. (…) Les danseuses buvaient dans des cratères d'or inspirés de Candie. (…) Cocteau donnait le dieu bleu. Cette crétomanie devait durer jusqu'en 1914." (Revue de Voyages 1960-61)

Huit ans plus tard Paul Morand revint dans l'île de Crète (1968) : "La Crète avait beaucoup changé (…) Parachutistes et bombardiers avaient passé par là, par cette Crète où Dédale, pour Icare, installa son premier terrain d'atterrisage."


Vous pouvez aussi parcourir quelques pages extérieures à ce site : celles Clio, la muse de l'histoire sur Cnossos ou celles du Ministère Grec de la Culture (en Anglais) consacrées au palais de Knossos.

Nous laissons les héros dans leur palais funèbre. Le car entre à Héraklion. Kyriakos nous dépose en douceur devant notre hôtel Galaxy, autre planète au confort accueillant. Morphée nous plonge dans un profond sommeil.