Jeudi 26 avril 2001

Sitia - Monastère de Toplou

Gournia

Auberge Katazakros Bay

Sitia

Moni Toplou

Zakros

Vaï

Itanos

Hotel Mirabello

Au matin du 26 avril, nous comptons les heures qu'il nous reste à passer sur la terre crétoise. Deux jours encore… Cette semaine écoulée dans le plaisir des découvertes, des causeries amicales et des repas animés, nous a paru très courte. Les heures s'envolent. "Tempus fugit".

Ce matin là, nos volets s'ouvrent sur la tache bleue de la mer mordant le sable blond d'une plage encore vide, soulignée de collines où s'agrippent des villas noyées dans la verdure. Classique paysage de carte postale que nous cadrons, clic clac, depuis notre balcon. Il est sept heures. Notre journée s'emballe déjà. Petit déjeuner rapidement avalé, parce que nous voulons découvrir le jardin en terrasse, arpenter les allées parfumées, marcher sous les tonnelles, saluer les statues nichées dans les recoins, grimper les escaliers qui donnent accès à des points de vue panoramiques. Nous voudrions rester là, suspendus entre le ciel et l'eau, jouir longtemps du spectacle offert, des caresses des fleurs, des fruits délicieux du farniente qui nous sont refusés. Il faut partir, emportés sur les routes qui mènent à d'autres lieux dont les noms déclinés composent une comptine : Gournia, Sitia, Toplou, Zakros et Vaï, pour revenir à notre Hôtel Mirabello.

Nous jetterons d'abord un œil blasé, puis un peu plus attentif, sur le site de Gournia, surnommée la "pompéi de la Crète minoenne". Elle est située dans la baie de Mirabello, où fut dégagée une petite cité. Occupée dès le IIIe millénaire, surtout prospère au Minoen récent, elle fut détruite vers 1400 av. J.-C., mais survécut jusqu'au XIIIe s.

C'est l'établissement minoen le mieux préservé de la période des nouveaux palais. Un petit palais, placé au centre, domine les rues irrégulières. Parmi les maisons, on a pu identifier celles du charpentier, du potier et du forgeron, dans lesquelles scies, outils et vases d'argiles ont été découverts.

Après avoir repris la route, notre guide Andreas nous propose, selon un rituel rôdé depuis maintenant une semaine, un court arrêt "toualette". Pause au Café Platanos ; la vue panoramique sur la baie de Mirabello nous incite, une fois de plus, à la photographie.

Sitia, joli petit port et station balnéaire, nous retient un moment. Le car s'arrête à deux pas d'une plage attirante. La mer miroite sous le soleil d'avril, elle nous fait signe. Nous ne résistons pas et dévalons la faible pente qui nous conduit les pieds dans l'eau. Sensation délicieuse. Humeur joyeuse. Photo souvenir.
Les immeubles blancs de Sitia s'élèvent en gradins, comme posés sur les bancs d'un vaste amphithéâtre. Les ruelles et les escaliers courent en serpentant jusqu'au Castello vénitien. Vue splendide sur l'étendue des plages. Le port, situé à la pointe orientale de l'île, s'anime avec le passage des ferries qui vont à Rhodes et Karpathos.

Après Sitia, niché comme un bijou dans l'échancrure de sa baie, nous roulons vers l'arrière pays, plus à l'est de l'île. Dans un paysage sévère se dresse le Monastère fortifié de Toplou, que les orthodoxes édifièrent au XIIIe siècle. Son histoire est intimement liée à la résistance des Crétois contre les occupants.

Son architecture originale lui donne l'allure d'une forteresse. Le monastère a été remarquablement restauré. Placé en position stratégique, il résista à de nombreux assauts. Son nom turc : Toplou, atteste la présence de canons, aujourd'hui disparus. Il fallait se protéger des incursions "piratiques", comme dirait Andreas.

Nous admirons l'élégance des bâtiments de style vénitien, les sculptures, le clocher octogonal à coupole. Le Katholicon est le musée du monastère, riche en icônes typiques de l'art crétois byzantin. J'en revois quelques unes dont un Saint Jean Baptiste majestueux, pourvu de grandes ailes habituellement réservées aux archanges. Je m'étonne de ces ailes encombrantes. Je revois peints ou sculptés nos Jean-Baptiste décharnés, hirsutes, couverts de peaux de bêtes, prophètes errants, mangeurs de sauterelles, ainsi représentés selon l'iconographie catholique, alors que les peintres orthodoxes placent le Baptiste dans l'Empyrée céleste.

D'autres images nous attirent dont un chef d'œuvre de l'art sacré byzantin signé du nom de Yannis Kornaros (1745-96). Il s'intitule "Megas ie Kyrie", "La Grandeur du Seigneur". Que le seigneur est grand ! programme parfaitement illustré dans ce tableau de grande taille, sorte d'hymne à la Rédemption qui se développe sur quatre plans lisibles et bien équilibrés.

En haut, la Trinité couronnée présente la hiérarchie des anges agenouillés autour des trois figures divines, présences magistrales. La disposition circulaire des saints en prières s'ordonne autour du groupe central, formant des chapelets d'adoration.

Au dessous, figure le baptême de Jésus baigné dans les flots bleus d'une onde sinueuse, parcourue de poissons.

Cette eau vient s'étaler autour du troisième groupe, où règne, souveraine, la Vierge qui trône en majesté dans le jardin d'Eden, flanquée d'Adam et Éve. Celle-ci écrase de ses pieds le noir serpent du Mal, sur l'injonction de Marie qui tient d'une main ferme l'un de ses bras, tandis qu'à l'opposé, Adam songeur, les bras croisés sur la poitrine, observe le groupe ainsi formé. Il paraît détaché du contexte, comme coupé de l'Alliance entre la mère et l'enfant posé sur ses genoux : Jésus, principe du Bien qu'Éve contemple, après avoir vaincu le Mal.

Cette composition admirable surplombe la quatrième plan du tableau, de moindre importance. Une grotte ténébreuse s'ouvre sous les pieds de la Vierge. Un Christ flamboyant tire, de l'obscurité, les hommes promis au Paradis. Une fois ressuscité, Jésus descend aux Limbes pour délivrer les justes non baptisés. Thème récurrent dans l'iconographie orthodoxe.

Je ne peux m'empêcher d'évoquer la Chapelle Sixtine, Michel Ange, le Jugement dernier. Cette scène du Crétois peignant un Christ compatissant qui tend la main aux hommes, s'oppose à la vision dantesque qu'en a eue Michel Ange. La crainte et la terreur qu'on lit sur les visages et les corps des damnés (transposition inoubliable de la souffrance humaine) n'ont pas de traduction dans le monde apaisé du peintre Kornaros.

Cette image extraordinaire du Crétois conjugue la tradition picturale byzantine avec les formes et les motifs nés de la Renaissance. Le fourmillement des personnages secondaires, regroupés en faisceaux très serrés, n'indique aucun désordre, aucun égarement. Belle vision idéale d'un monde racheté autour d'un Rédempteur.

D'autres icônes, encore, nous retiendront mais aucune n'égale, quant à moi, ce chef d'œuvre de la miniature crétoise réalisé au XVIIIème siècle.

Zakros est le quatrième grand palais minoen. Nous n'avons pu le visiter car les gardiens étaient en grève contre "l'augmentation du nombre d'années cotisées afin d'obtenir une retraite à taux complet". C'est curieux, ces revendications me semblent familières…

Les fouilles de ce palais sis à l'extrême-orient de la Crète n'ont commencé qu'en 1961. Zakros est très semblable aux autres palais, quoique de taille plus réduite (cinq fois plus petit que Knossos). C'est ici que fut trouvé le remarquable rhyton en cristal de roche que nous avons admiré au Musée d'Héraklion.

Voir : Zakros

Nous déjeunerons à l'Auberge Katazakros Bay. Les tables au bord de l'eau plantées sous le couvert léger des arbres parasols, le sable au bout des pieds, tout concourt au charme de ce repas-pique-nique ensoleillé. Cheveux au vent, la vue de la mer toute proche et pétillante, l'odeur des plantes et du sel me reviennent plus que le goût des aliments placés dans mon assiette.

Vaï est la seule palmeraie naturelle d'Europe, déjà connue durant la période classique. Une légende soupçonne les Phéniciens, dont la présence est ici attestée, d'y avoir jeté les noyaux des dattes qu'ils étaient en train de manger.


Itanos fut un important établissement dès l'époque Minoenne et jusqu'à l'ère Chrétienne. Particulièrement puissant durant l'époque Grecque, il était florissant au septième siècle av. J.C.

Itanos faisait continuellement la guerre à ses voisins ; D'abord avec Praisos et quand Ierapétra (Pierre Sainte) détruisit Praisos, Itanos fut en guerre contre Ierapétra. La raison principale du conflit était une dispute pour le contrôle du Temple de Zeus à Palaikastro. Une inscription au Monastère de Toplou montre que les deux cités demandaient l'arbitrage de Magnesia, ville d'Asie Mineure, en 132 av. J.-C., afin de résoudre le conflit.

Hôtel Mirabello à Haghios Nikolaos. Repos bien mérité.
Réunion du groupe des budistes. Gérard Lauvergeon fait la relation de notre voyage dans la pure tradition des belles lettres, puis remercie, en notre nom, Andreas, notre guide et Kyriakos, notre chauffeur.

Après dîner, nous irons en balade dans les rues du vieux port d'Haghios Nikolaos brillamment éclairé. Le centre pittoresque de la ville enserre les quais et le petit lac de Voulisméni dont nous faisons le tour en promeneurs tranquilles, nullement dérangés. La saison touristique n'étant pas commencée, le port manque d'animation et l'eau du lac me paraît sombre et froide. Nous rentrons au logis provisoire de notre hôtel Mirabello.