Vendredi 27 avril 2001

Haghios Nikolaos - Héraklion

Nous nous levons de bonne heure, ce vendredi matin dernier jour de voyage. Adieu Hôtel Mirabello ! Le car nous emmène au centre ville d'Haghios Nikolaos dans l'effervescence matinale. Bientôt, nous rejoindrons son musée archéologique. Cette préfecture du Lassithi, est une jolie station balnéaire allongée sur la Baie de Mirabello. En son cœur, Voulisméni, un lac d'eau douce de 137 m de diamètre et de 67 m de profondeur. Il est alimenté par une source souterraine (hier soir, noyé dans l'ombre, il m'impressionnait). Monsieur Cornet, fin connaisseur en la matière, nous parle longuement de cette nappe aquatique, curiosité naturelle au cœur de la cité, jetée comme un fragment de miroir éclatant où se mirent les maisons juchées sur la colline. Actuellement ce lac, relié par un canal au véritable port, sert d'ancrage aux nombreux bateaux de pêche, qui s'y reposent calmement. Ce matin, tout sourit : cafés et restaurants ont la mine avenante. Mais le musée ouvre ses portes et notre appétit de… savoir.

Pour mieux connaître Haghios Nikolaos : cliquez ici.

Nous voici maintenant au Musée Archéologique d'Haghios Nikolaos. Fondé en 1970, il comprend 8 salles qui présentent de manière chronologique des objets datés du début du minoen à la période gréco-romaine. Belle présentation de pièces superbes : vases en argile, lame d'obsidienne (- 8 000 av. J.-C.), hydries, vase tripode en forme d'oiseau, pyxides, cruches, rhytons défilent au pas de charge de notre cohorte dispersée.

Andreas se montre un cicerone compétent et met un peu d'ordre dans cette profusion d'objets qui s'étalent au gré des étagères, dans une succession, certes bien ordonnée, mais qui parfois me lasse et m'étourdit.

Certaines figures sculptées ont l'air de déesses orientales, telle Ishtar, les bras collés sur la poitrine. Des adorants paraissent vénérer le buste de la déesse Isis venue d'Égypte. Un sursaut d'étonnement devant un crâne orné d'une couronne de lauriers ; le coin de la bouche édentée est orné d'une pièce de monnaie, un sésame pour le nocher Caron. Cette petite monnaie ronde prête à être happée par la bouche-tire-lire, donne à cette tête de mort curieusement laurée, l'air avide et grotesque d'un avare en goguette.

Adieu beaux témoins du passé de la Crète ! J'aime vous imaginer figés sous vos vitrines claires, offerts aux yeux curieux des foules d'aujourd'hui ignorantes ou blasées, parfois s'interrogeant sur l'étrange survie qui vous tient en ces lieux. Objets témoins, porteurs d'énigmes à contempler.

Pour approfondir la visite (en anglais) : cliquez ici.

Nous quittons les rues bruyantes d'Haghios Nikolaos pour nous enfoncer dans l'arrière pays, sur la route de Kritza. Au nord de Panaghia Kera, à une quinzaine de kilomètres de la côte, un chemin de terre rejoint le site de l'antique Lato. Fondée à l'époque des invasions doriennes, importante durant la période archaïque, elle connut des heures florissantes aux époques classique, puis hellénistique.

Lato fut donc l'un des centres fameux de l'île de Crète. La mythologie grecque nous sert encore de guide. Elle recouvre les vestiges de ce site très ancien, des habits de légende de la déesse persécutée. Latone ou Lato, fille de Chronos, belle immortelle aimée de Zeus, enceinte des œuvres du prolifique souverain, cherchait une terre accueillante pour accoucher des jumeaux qu'elle portait : Artémis, divine chasseresse et son frère Apollon, dieu de lumière et de beauté.

Mais Héra, reine-mère outragée, connue pour sa fureur jalouse, se déchaîna contre Latone, lançant à sa poursuite, en tout temps, en tout lieu, les cent gueules du terrifiant serpent Python pour empêcher la naissance des enfants attendus. Elle interdit à Gé, la Terre, de les recevoir pour ses couches. La pauvre Latone éplorée erra d'une terre à l'autre, jusqu'à ce que Chronos, son père, pris de pitié, eût fait jaillir de la mer un rocher, une île appelée Délos devenue le berceau des deux jumeaux divins. Artémis, née la première, aida sa mère à mettre au monde le petit Apollon, qui jura bien de se venger du mauvais sort fait à sa génitrice pourchassée. C'est ainsi que plus tard, au lieu appelé Delphes, il affronta le monstrueux serpent et le tua. Le meurtre appelant la purification, le dieu y installa sa prêtresse, la Pythie qui désormais prophétisa, assise sur son trépied recouvert de la peau écailleuse du serpent. L'île de Crète ne manque pas de sanctuaires érigés en l'honneur de l'Apollon Pythien dont le culte se répandit partout dans l'espace méditerranéen.

La porte principale s'ouvre à l'ouest du site. Nous commençons l'ascension de ce qui fut autrefois une rue à escalier qui nous mène à l'agora, la place du marché. Le centre de la ville coiffe le sommet de la colline. C'est un plaisir d'arpenter l'espace découvert, mi-pierreux, mi-boisé aux senteurs aromatiques.

Construit, au VIIème siècle av. J.C., sur les versants de deux collines, ce site exceptionnel offrait une solide protection contre les ennemis. Nous verrons blocs et pierres de toutes tailles dont des vestiges assez parlants, pour évoquer une ville avec son agora, un théâtre, et même un prytanée… Ruines dressées dans un paysage d'une grandeur sauvage, avec vue sur le Golfe de Mirabello.

Ce site de Lato porte les traces d'un temple grec dédié à l'Apollon Pythien, où résonne encore, pour qui sait les entendre, les oracles attendus, de la Pythie, Madame Soleil de l'époque archaïque.

Vendredi, sous le soleil d'avril aimable et caressant, nous n'entendrons pas les accents caverneux d'une voix prophétique surgie du dessous d'un trépied, mais la prose limpide de Jacques Lacarrière, ressuscitée par la voix familière, aux doux accents, de notre ami André Lingois. Un livre dans les mains, assis sur un muret, il sait nous rendre proche la mélodie de cet amoureux de la Grèce. Avec lui, nous vivons l'Été grec, sur la terre crétoise que l'écrivain aime et célèbre sans se lasser. Nous faisons cercle autour de lui, foule charmée sur l'agora, sensible à la beauté des mots, à celle du lieu, à ce moment de poésie.

Nous descendons rapidement le chemin escarpé. À quelques kilomètres de Lato, nous trouvons Kritsa, petite ville pittoresque, construite en amphithéâtre sur une colline. Nous nous promenons un moment dans un lacis de ruelles où les marchands exposent tissages et vêtements suspendus en façade. Chacun s'affaire à ses achats. Mais le temps presse, il faut partir.

Ensuite, nous atteignons l'église byzantine de Panaghia Kera (10 km au sud-ouest d'Hagios Nikolaos). Cet édifice élevé aux XIIIème et XIVème siècle présente une façade originale. À l'origine, elle comprenait une nef unique surmontée d'une coupole, puis deux nefs latérales vinrent s'ajouter côté nord et côté sud, elles-mêmes soutenues par des contreforts ajoutés. Le tout ainsi construit, lui donne une ligne particulière, heurtée, irrégulière, mais non sans harmonie. La nef principale est consacrée à l'évocation de l'Assomption mariale. Haghia Anna et Haghios Antonios sont honorés le long des nefs latérales. Les fresques peintes sont admirables (XIVème et XVème siècle). Brève contemplation.

Nous revenons vers le rivage du Golfe de Mirabello. Sans cesse, nos yeux se posent sur de splendides panoramas. Un arrêt attendu nous laisse le temps de contempler l'île de Spinalonga. Autrefois, presqu'une île, elle fut séparée du rivage par le percement du canal de Porou. "La longue épine" est dominée par une forteresse vénitienne. Le génie constructeur des Romains, celui des Vénitiens, l'estampille italienne est remarquable dans l'île de Crète. Partout, on la retrouve avec plaisir. Relevons que de 1903 à 1957, une partie de la forteresse fut convertie en léproserie, ce fut la dernière d'Europe.

Il est midi passé. Le car nous dépose dans un village de pêcheurs, Elounda. Des plages magnifiques expliquent le succès touristique de l'endroit. Nous rejoignons le restaurant Marilena, qui nous offrira le meilleur repas de notre séjour. Beaucoup en feront la remarque. Ambiance festive après ce déjeuner particulièrement soigné.

Dans le car, les sièges confortables nous offrent le moment de faire un brin de sieste. Corps détendu, l'esprit s'évade en rêverie. C'est le moment choisi pour écouter de belles histoires du temps présent. André Lingois nous lit quelques pages de l'écrivain crétois Nikos Kazantzakis, "Lettre au Greco". Autobiographie, temps retrouvé de son enfance marquée par la rudesse des mœurs campagnardes. Évocation des scènes, en forme d'affrontement, entre le père, paysan taciturne et Nikos, son fils obéissant, pris de tendresse sourde au souvenir de cet homme excessif, que le pudeur étrangle autant que son "Cheval d'orgueil", sa raison d'exister. Pages dures, bellement exprimées, dans une prose ramassée, vibrante et comme sculptée qui, par éclats, fait jaillir l'émotion. Tout à coup, je saisis la distance entre le style coulant, tout uni, bien disant de Jacques Lacarrière et celui du géant Kazantzakis qui forge un univers tel, qu'il touche aux sources les plus profondes de notre sensibilité. André Lingois, par cette évocation, fait passer le souffle de la vie rude, amère et violente qui vibre en chacun d'entre nous, chambre d'échos au plus profond du cœur.

Nous voici maintenant dans les rues populeuses d'Héraklion. Le coursier est au bout du voyage. Kyriakos, notre habile chauffeur, avant de nous laisser, fait défiler dans un grand tour de ville, les monuments marquants de la métropole crétoise : Kastro Koulès, forteresse en vigie sur le port, arsenaux vénitiens aux sept bastions édifiés par l'italien SanMicheli, la Loggia palladienne… L'église Haghios Titos plusieurs fois reconstruite… La cathédrale San Minas transformée en musée. Nous apercevons les ruelles grouillantes du bazar, où nous ferons nos dernières emplettes.

Notre guide Andreas nous salue pour la dernière fois, plein de cette rondeur digne qui le caractérise. Pendant longtemps encore, nous entendrons l'intarissable mélopée dont il nous a bercés de sa voix chantante et liquide. Nous entendrons son français savoureux, inventif. Nous n'oublierons plus les "voies viragées de la Crète", le "supplice martyrique" des saintes éplorées dans les églises byzantines, les "eaux embouteillées" des commerçants crétois, ni les considérations toutes "très théorétiques" que font les spécialistes des sites minoens "délapidés".

Andreas exit ! Continue ton chemin de ton pas sûr et droit. Nous garderons, en fond sonore de ce séjour crétois, ta voix ornée de savantes volutes langagières, une note de charme surajoutée à ce voyage en tout point réussi.

Hôtel Galaxy : Nous dînons dans le restaurant self-service, sous le regard des gros poissons qui bougent indolents, dans l'énorme aquarium en décor sur l'un des murs de la grande salle. Leur œil placide et rond fixe le monde agité de ces humains bavards, toujours en quête de mouvement, de voyages, de savoir tout ce qui se passe de l'autre côté du miroir.

Puis nous rejoignons nos chambres et nos lits accueillants.