Fête de la Famille Le Reste



22 août 1998 : ce jour-là s'est ouvert et puis refermé comme un long dépliant d'images en cascade. Ce samedi d'été nous a vu arriver pour fêter tous à Scaër les retrouvailles de la Famille Le Reste : 80 membres de la parenté ont répondu "présent" au rendez-vous fixé, longuement préparé.

Au matin, le ciel gris, les gouttes suspendues prêtes à tomber en pluie, la verdure rafraîchie composent la symphonie finement colorée de ce jour de rencontre. Le bourg de Scaër s'anime. Les façades des maisons gaiement peinturlurées se mettent à sourire. Les gris blancs d'autrefois ont fondu sous des tons d'ice-cream appétissants qui me rappellent soudain quelque village d'Irlande. La longue rue en pente mène toujours à l'église qui semble la tirer comme un ruban de coiffe. Bien plantée sur sa place, ceinturée de maisons doucement patinées, paisible elle nous attend. De loin, le haut clocher attire nos regards. La flèche pointe le lieu de notre rendez-vous. Il est 11 heures. La messe va nous unir aux chants des traditions.

Le rituel chrétien scandé d'hymnes ferventes relie, dans la prière, trépassés et vivants. Il s'enracine loin dans la Terre des Ancêtres que nous venons ce jour, ensemble, retrouver. "da Feiz hon Tadou Kozh". Nous prenons la mesure de ce qui nous unit dans ce temple de pierre. Les dalles de granit de la nef aérée ont été les témoins des rites ancestraux et redisent pour nous, la geste familiale : blancs manteaux des baptêmes parfumés de dragées, guirlandes d'oranger, la fleur des épousailles puis, au soir d'une vie, lourds tissus noirs des funérailles.

Dehors, sur le parvis, les embrassades appliquées, les exclamations haut perchées réveillent, pour de bon, le gros bourg somnolent. Il est midi. Quelques pas nous séparent de l'École Saint Alain, la rude éducatrice de plus d'un des cousins. La sévère bâtisse au grain de granit clair se dresse fièrement. Les vertes frondaisons de sa grande cour carrée lui donnent une noblesse de demeure ancienne. Elle renvoie en écho les rires et les querelles des cousins batailleurs qui sont là aujourd'hui, pères, oncles, grands-pères. Un bond dans le passé : les bottes de 7 lieues prennent dans leur étreinte Petit Poucet rêveur semeur de drôles de rimes, Petit Chose à pleurer ou Meaulnes devenu grand affamé d'aventures.

Nous gagnons, en causant, l'abri du réfectoire qui s'ouvre largement sur une allée-jardin. Avant de festoyer, c'est l'heure de la photo. Nous voici maintenant groupés et puis tassés sur bancs superposés, prêts à être saisis dans ce flash éphémère qui nous fige pour une éternité de papier.

La table est mise en décor de campagne. Les nourritures terrestres s'étalent en abondance. La musique bruisse dans l'air, mêlant le rap breton scandant "le chant des druides" aux sons traditionnels, aux musiques du monde. "Bretagne est Univers" chantait Glenmor. L'apéritif délie les langues, s'il en était besoin ! La verve celte s'enivre d'elle-même modulée aux accents masculins-féminins. Le repas bat son plein. L'ambiance est chaleureuse : la fête de famille lance, à plein gosier, ses serpentins de rires, allume les propos qui mêlent dans leurs rondes, les temps forts du passé au présent "staccato".

L'avenir nous regarde avec des yeux d'enfants. Les enfants sont en joie. Ils sont fleurs en parterres que l'amour fait pousser. Leurs rires "cascatellent". Le sérieux de leurs yeux parfois nous intimide. On se sent puéril. La vie qui nous burine montre nos cicatrices dans le regard des autres : cousins, cousines de nos enfances au coeur.

Puis les chanteurs se lèvent selon la tradition, et tous nous écoutons unis dans la magie, les chants que nous aimons, les voix de nos Orphées heureux de nous charmer. Le timbre chaud cuivré de Mikael Kerne nous mène en Troménie. "Derrière chez moi, y'a un pays", devenu peu à peu notre hymne familial, déroule ses couplets aux couleurs de Bretagne. Repris en choeur, "si tu n'vends pas ton père, si tu n'vends pas ta mère, nous irons tous au bois, au bois derrière chez moi" , il est comme le symbole de notre réunion. Les mélodies bretonnes rediront la beauté de la langue natale que nous avons perdue ; modulées par Jisket ou ciselées par Jos, le cousin Bouche d'Or, elles ont pour nous le charme nostalgique "des voix chères qui se sont tues". Le duo enlevé d'Annick et Jean Boucher donne envie de danser. Après celle de son père Marcel, la voix hardie et claire de Thérèse Boucher domine sans effort un auditoire toujours sensible aux voix bien balancées, à l'heure de la Techno et des musiques mixées.

L'après-midi s'étire, le ciel est toujours gris. C'est l'heure de se lever et d'aller tous "au bois, au bois". Nous voilà au Grand Champ, promenade consacrée des Scaërois de toujours. Les arbres en majesté nous accueillent et leur feuillage vibre. À chacun ils racontent une histoire d'enfant. Aujourd'hui, vénérables, ils murmurent entre eux qu'un nouvel arbre est né ! Un petit chêne Le Reste ! Jeune pousse de 3 mètres, notre arbre familial, porté à bout de bras, agite sa ramure. Tous nous avons fait cercle autour de son berceau creusé à flanc de pente dans le vert tissu clair du manteau végétal. Tous en place pour le cérémonial ! Notre chère doyenne, Marcelle Derrien, tient en main l'étui gris, petit tronc fuselé ; notre arbre généalogique y est lové tranquille ! Sous les pieds bien plantés du chêneau frémissant, nos noms prendront racine : korrigans souterrains dans la nuit de la terre, ils forgeront le tronc. Parfois, pour prendre l'air et sourire au soleil, ils deviendront des elfes émetteurs de messages.

Marcelle, main levée, tient le bâton magique. Avec lui, elle trace, signe sur le ciel gris, la croix de Jésus-Christ, avant de le lancer, dans le trou grand ouvert. Aussitôt dispersés les trolls et puis les elfes et autres farfadets regagnent effarouchés leurs demeurent invisibles. Vade retro satanas !

Notre chêne Le Reste maintenant est béni. Il peut devenir grand si Dieu lui prête vie.

À larges pelletées, à grosses poignées de terre les grands et les petits lui font une couverture pour qu'il se tienne à l'aise. Les enfants savent bien que leur arbre est vivant, qu'il faut en prendre soin. Ils entendent la voix de Pierre Jakez Helias qui nous dit la beauté et la force de l'arbre.

La journée peut se clore, le cercle se défaire, chacun a pu s'offrir son instant de magie.

Bretagne terre mystique, tu nous as réunis pour célébrer ensemble ce goût très fort de toi, cultivé en famille.

Vieille terre celtique, tes mythes nous enchantent, ton Graal est prometteur. Notre chêne est planté.
La tête dans le vent,
baigné des eaux du ciel,
les pieds dans le feu de la terre
il donnera sève et verdeur.

Vieille terre chrétienne, tu as su accueillir la religion du Verbe et nous sommes aussi faits de la pierre des églises, beaux enclos paroissiaux où nos 'mes s'expriment.

Poésie du sublime.

Cette journée a su unir en nous cette double tradition qui fait notre fierté.

Que l'on soit de Bretagne, de Paris ou d'ailleurs, nous garderons en nous un peu de la chaleur que nous avons trouvé tous ensemble aujourd'hui. Kenavo · Ar Wech all. Au prochain millénaire, nous prendrons rendez-vous.

Après la fête, ... la fête continue !