Les Belles au Bois Dormant nexistent pas, leurs châteaux sont des temples médiatiques. Ladolescent amoureux de Marianne ne retrouve plus le château rose de ses chimères. Jy retournais pourtant assez souvent la dernière fois, il y a 7 ans depuis quavec les Scouts, je lavais découvert au coeur de son parc abandonné, lieu daventures à la quête impossible, du Perceval Le Gallois au Prince Erik damitié ambiguë. Il métait resté tel un espace merveilleux alliant le réel à limaginaire ; le château en ruines des bombardements de la dernière guerre y ajoutait le drame et langoisse, ses habitants princes et princesses vivaient encore ensevelis sous les tonnes de gravats gagnés par la végétation redevenue sauvage. Du moins, jimaginais ainsi ce lieu hanté que les bruits insolites, de nuit comme de jour, chargeaient dune vie intérieure, sourde, opaque, une vie dOutre-Tombe, de moisissure et de spectres. Lattirance confinait à la fascination, ce lieu désolé vivait de mon imagination. Le parc redevenu forêt nous offrait une topographie cabossée, dans laquelle nous établissions des géographies ésotériques : expéditions cortézienne, pizzarienne et puis la nature était à la portée de la main, à visée de loeil, à hauteur de nez, surtout la nature non abîmée, le rêve enfantin dun côté : la découverte (botanique, zoologie), de lautre, des matins à la Viviane, lambeaux de brume bleutée coulant sous les herbes, les feuillages. Au soleil de midi lombre imprécise des arbres virides, grandioses parmi lesquels des vestiges de vasques, de bassins, de balustrades, de statues mutilées créaient un lieu maudit, frappé dinterdit. Et puis le château, toujours lui, lieu géométrique au bas de la cuvette dégagée qui le recueillait, tel un beau fruit éclaté suspendu de lautre côté sur lapic qui lui dégageait un panorama large et lointain sur la vallée de lAulne et le petit bourg de Châteauneuf-du-Faou : jardin secret de lenfance. Adulte, pendant longtemps jy retrouvais, en létat, les charmes surannés des Marianne blondes prisonnières de sortilèges, denvoûtements, daffreux gnomes ricanants. À travers des lueurs dorage (il y en avait), des visions romantiques, des appels effarouchés enfiévraient mon cerveau de fantasmes tendres et violents.
Deux alexandrins qui me restent dun poème écrit après avoir vu le film de Duvivier Marianne de ma jeunesse.
Et puis 1986... Le Parc public du château de Trévarez : conseil général, association culturelle, loi du etc... parking, entrées payantes, fléchage ; les écuries font bar-sandwichs. Une cavalière au pull rouge peut encore donner lillusion dune Guenièvre bressonienne... Les visiteurs qui montent et descendent les allées poudreuses sen foutent éperdument... Les arbres, les chênes nont pas changé. Que disent-ils du haut de leurs branches ? la profondeur du bois se rétrécit. Le parc est devenu décor... Et quel décor pour quel spectacle ? Sur lesplanade du château un podium bas, bardé de baffles énormes, bordé de lampes de lancement des fusées dartifice encapuchonnées dans un film noir de plastique maraîcher. Faisant face, les gradins adossés au mur des projecteurs, à travers lesquels la sphère de lhorloge solaire devient mesquine, idiote, superfétatoire spectacle son et lumière : deux barnums sur la droite font office de coulisses... Des centaines de mètres de fils, des caravanes pour les régies, un stand pour les boissons ; lenvers du décor... Vivement que la nuit vienne effacer le désordre ! Le château lui est déniaisé, ouvert, non encore intégralement rénové. Le mystère a disparu... Marianne, à lentrée déchire nos billets. Exposition de peinture contemporaine. Enfin, jentre dans un lieu vécu qui nexiste plus ; un autre lieu découvre un autre monde, réel celui-ci, vivant étonnamment interrogateur dans ces tableaux expressionnistes, provocants. Le temps dune renaissance, le château aurait-il produit sur ses murs, ses propres fantasmes, ses propres déchirements ? La guerre et la bêtise humaine : corps triturés, décapités, déchirés, déformés, dénaturés, joués, déjoués, épiés, vendus, avalés, digérés, expulsés, comme si pour se régénérer il fallait quils se nient. Velickovick, Vetkonski, Segui, Vibel, Hadad, Makowski... Jen passe. Trévarez conjugue sa terreur. Le château sest ouvert. De lautre côté des baies vitrées la campagne de Saint Goazec na guère changé. Les angoisses projetées sur les cimaises délivrent le lieu des enchantements mortifères de nos mythologies malsaines. Le désenchantement des oeuvres peintes décape le visiteur qui ne peut plus voir dans cette bâtisse prétentieuse et sans style du début du siècle quune folie calculée dun baron candidat officieux à la Présidence de la République.
Les loisirs ont du bon : ils débarrassent lHistoire de limaginaire, lélitisme devenant populaire, sil efface les rêves, favorise un présent commun.
Tant pis pour Marianne !
François FLOCH Carhaix, juillet 1986
Avant la rénovation