Malgré des jugements critiques parfois très vifs, Chateaubriand a proclamé sans cesse son amour pour lItalie, pour ses peintres, pour ses poètes : Virgile, Dante, le Tasse. Sa carrière politique le conduisit à Rome, Naples, Vérone, Venise, Ferrare, Florence. Il a goûté au charme de ces villes ; pour lui, elles vivent, respirent comme les femmes quil a aimées, quil peint, à qui il se confie : sur, amies, amantes, épouse, elles lui tressent des couronnes de louanges, elles laiment, elles lidolâtrent même si elles lui en veulent de ses infidélités. Ces amoureuses qui firent lagrément de sa vie sont nombreuses et il serait difficile de les évoquer toutes ce soir car François-René eut des succès si vibrants auprès des dames de son temps, celles dont il parle dans ses Mémoires ou celles qui parlent de lui dans les leurs quil nous faudrait la nuit pour en parler. Mais voir en lui un Don Juan comptabilisant ses conquêtes ou un Casanova pressé de raconter ses bonnes fortunes, ne tiendrait pas compte de sa personnalité.
Chateaubriand nest ni un libertin cynique, ni un esprit fort doutant de lexistence de Dieu. Dans ses fameux Mémoires, dans sa correspondance, dans ses écrits, quels quils soient, chaque femme, chaque rencontre amoureuse paraît enveloppée dun voile pudique, dune aura magique qui cache lérotisme sous-jacent et la réalité vécue. Cest la prose lyrique et poétique quaffectionnent la plupart des poètes romantiques qui le suivront. De plus noublions pas que Chateaubriand, élevé dans la foi religieuse par une mère très pieuse, fut un des chantres de la catholicité et quil doit sa notoriété à ce best-seller que fut Le Génie du Christianisme ou les beautés de la religion chrétienne. Dans ses Mémoires, il nous raconte comment il retrouva la foi après une période de relative incroyance visible dans son premier ouvrage : "Essai sur les révolutions marqué par les idées des Encyclopédistes. Pendant son exil, à Londres, il apprend la mort de sa mère survenue en 1798. Sa soeur Julie laccuse de les avoir abandonnées. Ce fut un choc profond pour le jeune homme : Jai pleuré et jai cru écrit-il avec émotion. Toute sa vie il sera ce croyant aux idées simples, plus sensible à la beauté des formes poétiques de cette religion-mère, quintéressé par laspect théologique de ses dogmes ; ce qui lui vaudra dailleurs les critiques des cardinaux de la Curie romaine, juges condescendants de son apologie du Christianisme.
Je crois quil est nécessaire davoir cela à lesprit quand on parle de la vie sentimentale de Chateaubriand. Sainte-Beuve dira de lui avec un beau sens de la formule qui le caractérise : cétait un épicurien qui avait limagination catholique. Et Lamartine, sarcastique : il est trop amant pour être pieux, trop pieux pour être amant ; un pied dans la sacristie, un autre dans le boudoir
Perçu comme le chantre de la religion catholique ce qui le flatte et lagace à la fois, il doit assumer la stature du grand chrétien forcément exemplaire. Dans Le Génie du Christianisme il a vanté la chasteté et chanté la sainteté du mariage chrétien or il a épousé une femme quil naime pas, quil fuit soigneusement au moins dans les premières années de son mariage et il entretient des relations amoureuses, certaines follement passionnées avec une ou plusieurs maîtresses, quil trompe les unes avec les autres, leur écrivant des lettres dégale ardeur, parfois dans la même journée. Pauvre François-René pris au piège de sa création littéraire et de son tempérament fougueux !
Ce soir jévoquerai quelques-unes de ces femmes qui ont compté pour Chateaubriand en lien avec lItalie ; ces femmes, dont il parle dans ses mémoires pour les immortaliser.
Sylphide
Très jeune, il crée sa Sylphide, femme rêvée, faite des soupirs du vent, des écharpes de brumes qui courent sur la lande bretonne, autour de Combourg, dans sa Bretagne natale. Cette créature fascinante née de son imagination ressemble à sa soeur, Lucile ; elle est la femme idéale quil recherchera toujours auprès de ses belles amies, les Madame comme les appelait, ironique, son épouse Céleste. Avant dévoquer Pauline de Beaumont, inséparable de son premier séjour en Italie, voyons les circonstances qui ly ont amené.
Élisa Bonaparte
Après le succès de son apologie du Christianisme qui le pose comme le champion du renouveau catholique, Chateaubriand obtient de Napoléon, grâce aux prières de sa soeur Elisa Bacciochi, un poste à lambassade de Rome. Elisa Bonaparte, princesse de Lucques, grande duchesse de Toscane est la protectrice et la maîtresse de Louis de Fontanes, le meilleur ami de Chateaubriand. Cest elle qui invite le poète à dîner chez Lucien Bonaparte, le frère de Napoléon. Elle a lu Atala et convaincue du génie de lauteur, elle le fait lire au 1er Consul. Cest grâce à son appui que Chateaubriand obtiendra sa radiation de la liste des émigrés, en 1801. Cest elle, encore, qui suggérera à lécrivain de dédicacer la deuxième édition du Génie du Christianisme à Napoléon. Quand Chateaubriand, rendu furieux par lexécution du duc dEnghien, envoie sa lettre de démission à Tayllerand, elle apaise la colère de Napoléon envers le vicomte outragé.
Nous avons vu que lempereur a signé avec le pape Pie VII le Concordat : la religion reprend ses droits, on rouvre les églises et la présence française sinstalle au Vatican. Chateaubriand a tout fait pour obtenir ce poste. Vivre à lambassade de Rome, même si lon est simple secrétaire de légation, cest grisant et cela permet à notre jeune écrivain mal marié de partir loin de sa femme Céleste, avec laquelle du reste il ne vit pas. Mais Paris est encore trop près de Fougères où elle réside depuis leur mariage. Avant darriver à Rome, il traverse la Toscane quil croque dun joli coup de plume : cest un jardin anglais au milieu duquel il y a un Temple, Florence ; il descend vers la cité des papes et sécrie : moi, barbare des Gaules, je viens parmi les ruines de Rome étudier ces épitaphes.
Nous sommes à Rome en 1803. Le voilà en poste au palazzo Lancelotti niché dans une espèce de galetas peu accueillant où, dit-il, les puces le prennent dassaut et noircissent son beau pantalon blanc. Après leuphorie des premiers jours, il se plaint ; le charme romain nopère plus. Cest quil provoque la mauvaise humeur de son supérieur, le cardinal Fesch, loncle de Napoléon qui le verra du plus mauvais il. En effet, le brillant écrivain sest montré maladroit et provocateur en rendant visite au roi de Sardaigne détrôné.
Dans sa correspondance avec Louis de Fontanes, il se plaint de la morgue du cardinal qui refuse de lui donner des tâches intéressantes où il pourrait briller en société au lieu de quoi il doit se contenter de remplir des passeports. Fontanes lui répond : La franchise dun ancien gentilhomme breton ne vaut rien au Vatican. Bien sûr, le pape la reçu avec une attention particulière, un exemplaire du Génie, auprès de lui. Il la félicité davoir écrit un livre si beau et si utile à la religion catholique. Alors pourquoi ces tracasseries ? Vexé, René demande à son amie Pauline de Beaumont dintervenir auprès de Joubert et de Fontanes pour que cessent ces vilains bruits qui courent sur lui à Paris, propagés par le Cardinal. Pauline est déjà dans sa vie depuis trois ans.
|