1806, premier séjour de Chateaubriand à Venise (1/2)

"J’allais chercher des images en Orient”

 

Chateaubriand a 38 ans. Pendant le mois de juillet 1806, il séjourne une semaine à Venise et nous en laisse une vision négative. Pas de fusion entre la ville et l’homme qui ignore ses charmes et sa grandeur. Curieux pour l’auteur du Génie du christianisme qui voulait tracer à nouveau les routes du Levant, attiré comme beaucoup de ses contemporains par un Orient mystérieux et lointain. De passage dans la Sérénissime, il escamote la cité magique. Pourquoi ?

D’abord en ce début du XIX° siècle, Venise n’est pas encore un lieu à la mode. Elle n’est pas lancée, pourrait-on dire. Cela viendra avec Byron, nous en reparlerons. Ensuite, Chateaubriand a d’autres choses en tête que la ville en elle même ; son désir est ailleurs. Il n’a pas choisi de visiter Venise, elle est là simplement, comme une étape obligée sur le chemin de la Terre Sainte. Il piaffe d’impatience, dans l’attente du bateau qui le conduira via Trieste, vers la Grèce, puis à Jérusalem. Il est en train d’écrire l’épopée chrétienne des Martyrs et il veut s’imprégner de l’Orient, toile de fond de l’histoire. “J’allais chercher des images en Orient”, écrit-il dans son Itinéraire de Paris à Jérusalem. C’est la raison officielle de son voyage sur les routes du Levant. Raison revendiquée, clamée bien haut pour que sa femme Céleste l’entende et s’en persuade. Mais une raison secrète le guide et le pousse en avant. Il veut retrouver au plus vite, Nathalie de Noailles, la dame de ses pensées qui l’attend au bout du voyage. Elle a juré de lui appartenir s’il accomplit son pèlerinage, de l’attendre en Andalousie et il brûle déjà sur les quais de Venise, de fouler la terre espagnole, revenu de Jérusalem, pour se jeter aux pieds de Nathalie, auréolé du prestige du héros, en parfait chevalier de l’amour courtois.

Vingt ans plus tard, dans son Livre sur Venise, il note quelques phrases révélatrices de son état d’esprit durant l’année 1806 : “Mais ai-je tout dit dans l’itinéraire sur ce voyage commencé au port de Desdemone et fini au pays de Chimène ? Allais-je au tombeau du Christ dans les dispositions du repentir ? Une seule pensée m’absorbait : je comptais avec impatience les moments. Du bord de mon navire les regards attachés sur l’étoile du soir, je lui demandais des vents pour cingler plus vite, de la gloire pour aimer. (…) Comme le cœur me battait !

Chateaubriand se lance à la poursuite de la gloire littéraire et amoureuse. Venise ne fait pas partie de son champ de conquête. René encore plein d’ardeur juvénile, au zénith de son âge, aime les victoires. Or Venise est une ville vaincue. Troisième raison de son désintérêt ; tout cela explique le manque d’enthousiasme, les réticences, voire même l’hostilité de monsieur le vicomte envers la reine de l’Adriatique. Nous possédons quelques phrases de son journal, deux lettres écrites par madame de Chateaubriand, deux lettres de Chateaubriand lui-même dont l’une à Louis Bertin : lettre célèbre parce qu’elle parut dans le journal Le Mercure de France et déchaîna, contre l’auteur, les foudres de la société cultivée de Venise.

Qu’avait donc écrit Chateaubriand qui pût choquer la Sérénissime si fière d’elle même et de sa puissance millénaire ? Il s’était montré sans pitié pour la Venise vaincue. Rappelons qu’en 1806, Venise est soumise, livrée à l’occupant. D’abord Bonaparte y imposa sa marque et la pilla. Il nomma son beau-fils, Eugène de Beauharnais, prince de Venise en lieu et place du dernier doge Manin, qui se rendit sans résistance : “Ce ne fut pas notre armée qui traversa réellement la mer, ce fut le siècle. Il enjamba la lagune et vint s’installer dans le fauteuil des doges avec Napoléon comme commissaire.” Belle phrase aussi lapidaire qu’imagée.

 
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1806, 1er séjour à Venise — "J’allais chercher des images en Orient”
"À Venise, avec Céleste…"  

©mhviviani