1833, deuxième séjour de Chateaubriand à Venise

 

Réverie au Lido

 

Avant de quitter Venise, plein d’amour pour la ville qu’il vient de découvrir, il se rend sur les bords de l’Adriatique. Il prépare sa Réverie au Lido, texte célèbre du Livre sur Venise. Il veut dire adieu à Venise, reine des mers. Ses yeux sont remplis de la magie de cette ville-fée chère à Byron. Pour rendre hommage à la Sérénissime, il crée dans sa peinture, une ambiance solennelle, lumineuse à la façon des grand peintres vénitiens : “On peut, à Venise, se croire sur le tillac d'une superbe galère à l'ancre”. Venise, vaisseau amiral baignant dans une “lumière titienne ; les gondoles du canal et du port nagent dans la même lumière. Venise est là, assise sur le rivage de la mer, comme une belle femme qui va s'éteindre avec le jour : le vent du soir soulève ses cheveux embaumés ; elle meurt saluée par toutes les grâces et tous les sourires de la nature.

Venise est devenue la ville en “harmonie avec ma destinée”, constate le poète. Venise vue comme une femme, couchée au bord de l’eau, attire le vieux René ; elle lui donne souffle, envie, désir. Il accourt au Lido. Le rivage marin lui fait signe, les vagues l’appellent. Pour leur parler, il sait trouver des mots d’un lyrisme très doux. À la chanson des vagues, il répond par une chanson d’amour. “J'avais (…) envie de dire un mot de tendresse à la mer, ma mignonne, ma maîtresse, mes amours. (…) J'adressai des paroles d'amour aux vagues, mes compagnes : ainsi que de jeunes filles se tenant par la main dans une ronde, elles m'avaient entouré à ma naissance. Je caressai ces berceuses de ma couche ; je plongeai mes mains dans la mer ; je portai à ma bouche son eau sacrée, sans en sentir l'amertume : puis je me promenai au limbe des flots, écoutant leur bruit dolent, familier et doux à mon oreille. Je remplissais mes poches de coquillages dont les Vénitiennes se font des colliers. Souvent je m'arrêtais pour contempler l'immensité pélagienne avec des yeux attendris”.

Alors sur la plage déserte, Chateaubriand pense à Juliette et la cherche sur le rivage. L’amour et la mer se confondent : “je pense à vous et tout ce que ces lieux ont vu de plus charmant.” René et Juliette ont toujours rêvé d’être ensemble à Venise, souhait jamais réalisé. Sur le Lido, face à la mer, lui apparaît Juliette, telle Vénus Anadyomène. Il écrit sur le sable les seize lettres qui composent le nom de Juliette Récamier. “Mais le reflux envoie à seize reprises une vague qui efface le nom consolateur pour l’emporter lettre à lettre”, écrit-il tristement. Le nom de l’amour effacé, image de la fragilité des sentiments humains. Le Lido est le lieu des métamorphoses. Nous sommes loin de l’affreux Lido dont parle Alfred de Musset. Rappelons qu’en 1833 il s’apprête lui aussi à visiter Venise en compagnie de George Sand, mais c’est une autre histoire pleine bruit et de fureur.

Face à la séduction de la Sérénissime, couchée sur le rivage comme une odalisque fanée, l’enchanteur se sent pris au piège de la féminité et des ravages de l’existence : “Moi je sais mes ruines, écrit-il, inutilement je vieillis. Vous aimez à vous sentir mourir avec tout ce qui meurt autour de vous”, … comme Venise qui sombre peu-à-peu dans les eaux telle une cathédrale engloutie.

 

  "La duchesse de Berry"
1833, 2ème séjour à Venise — Réverie au Lido
"3e séjour"   

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