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3. Mariage avec François Gonzague





 

Les noces d’Isabelle et de François sont célébrées en 1490, après la mort du marquis de Mantoue, le père du fiancé. Elle a 16 ans, lui 24. À enfance dorée, mariage doré : déploiement de luxe, de faste tant à Mantoue qu’à Ferrare (coffre de mariage couvert de 11000 feuilles d’or, tapisseries flamandes), mais dot assez modeste comparée à celle de sa mère Éléonore. Imaginons une galère fastueusement parée qui remonte le Pô jusqu’à Mantoue où Isabelle fait une entrée triomphale. Réception, carrosse doré, cortège précédé du chœur des Anges. Cour d’ambassadeurs venus des principautés d’Italie et de France, épithalames dont parlent les chroniqueurs du temps. Le marquis de Mantoue dut beaucoup emprunter en l’occasion mais il le fallait pour paraître noble et grand, impressionner. Le prestige personnel est tout en ce temps-là. Sans lui une marquise de Mantoue n’est que la femme d’un condottiere, qu’on invite à la cour où son mari est employé.

Car qui épouse-t-elle, la princesse Isabelle ? Un condottiere, un militaire, homme de guerre et non un lettré. Il est au service des états qui ont besoin de défendre leurs territoires ou d’en acquérir. Sa famille s’est enrichie et tient le territoire de Mantoue. C’est un petit souverain de la Renaissance, marquis de Mantoue (le titre de duc ne sera donné qu’à son fils Frédéric) maître et tyran dans les limites de ses murs. Il a une cour avec pages, bouffons et familles de nains qu’appréciera tant Isabelle. Il frappe sa propre monnaie et lève des impôts sur ses sujets. Toujours à court d’argent, sans cesse menacé par des tyrans plus puissants que lui… voilà la vie d’un condottiere : François l’est par vocation et par nécessité.

À l’époque de son mariage, François, brillant cavalier, d’une grande bravoure, vient d’être nommé commandant de l’armée vénitienne. Il vit dans la forteresse de Mantoue. Comme Isabelle, il a passé son enfance entouré d’artistes, de peintres, de musiciens et d’humanistes tel Vittorino da Feltre. C’est à Mantoue que vit le peintre Mantegna, attaché au service des princes. François, à son avènement, au titre de Marquis, il lui avait commandé la série des Triomphes.

Les Marquis de Gonzague comme les ducs d’Este ont toujours été conscients que l’ascension et le renom de leur maison dépendaient de leurs libéralités envers les artistes. Bien sûr François n’est pas un lettré comme son père, il aime surtout la chasse, les chiens, les exercices physiques, mais il partage avec Isabelle, le goût du luxe et des œuvres d’art . Les jeunes époux sont amoureux et leurs différences les rendent complémentaires… ce ne sera pas toujours le cas !

 



Quand Isabelle arrive à la cour de Mantoue, au castello San Giorgio, elle peut admirer les œuvres peintes par Andrea Mantegna : surtout la fameuse Chambre des époux dans la tour nord de l’édifice où sont représentés les membres de la famille de son mari. Il s’agit d’embellir l’austère château. Isabelle s’y emploie : les pièces de l’étage noble seront abaissées et cloisonnées de façon à en faire des petites pièces, les “camerini“, le Studiolo, un jardin secret et la Grotta où elle se retirait entourée d’œuvres d’art commandées aux plus grands artistes.

Commence sa vie au château de Mantoue. François est à Venise comme gouverneur -condottiere. Eliza, épouse de Guido vient auprès d’Isabelle — Les deux amies communient dans la passion de l’art et de la littérature, jouent du luth et chantent les mélodies françaises. Leurs différences éclatent : l’une blonde, l’autre brune : Isabelle est ardente, impulsive voire violente ; elle aimera briller dans le monde, lancer des modes vestimentaires. Eliza est grave, mélancolique, sage et pondérée, peu soucieuse de mondanités mais élégante avec sobriété. Leur attachement sera profond et durable : “je n’aime personne autant que vous, sauf ma sœur…“ écrit Isabelle. Mais Eliza doit regagner Urbino, Isabelle se réfugie près de sa mère, à Ferrare. François réclame son épouse à Mantoue… Bientôt une nouvelle occasion de voyage se présente : Milan ! sa sœur Béatrice épouse le régent de la ville, Ludovic Sforza dit Le More. Milan, la cour la plus opulente d’Europe. Ferrare est en pleine effervescence : tous les corps de métier s’activent au trousseau de Béatrice. Raffinement inouï des vêtements…

À l’époque des noces de Béatrice, Isabelle est prise dans le tourbillon des préparatifs aux fêtes somptueuses qui l’attendent à Pavie et à Milan : les frais engagés pour être la plus belle excèdent les moyens de la Principauté de Mantoue qui s’endette comme elle sera toujours contrainte de le faire. Isabelle se montre autoritaire et morigène ses envoyés chargés de l’achat de bijoux et de zibelines . Cette lettre à son serviteur Trotti la montre toute entière : “Tâchez de me trouver une peau avec la tête de l’animal pour me faire un manchon. Ne vous laissez pas empêcher par le prix même s’il atteint dix ducats ; je le paierai avec plaisir si la fourrure est vraiment belle. Achetez aussi huit aunes du plus beau satin cramoisi que vous trouverez à Venise, pour la doublure dudit manteau et au nom du ciel, usez de votre diligence accoutumée…

Elle est ainsi : exigeante, impérieuse, précise… qu’il s’agisse de bijoux, de tissus ou de livres, il lui faut tout ! tout de suite. Au même Trissino “Nous désirons que vous demandiez à tous les libraires de Venise une liste de tous les ouvrages italiens en vers ou en prose racontant les histoires et les combats des héros des temps anciens et modernes et plus spécialement ceux qui concernent les Paladins de France. Envoyez-nous ceci le plus vite possible…

Pour ses artistes-décorateurs, ses exigences sont impitoyables et elle n’hésite pas à fulminer contre les lambins !!! De Ferrare où elle séjourne, elle écrit à Lucas Lombieni, chargé de décorer son studiolo
Sachant par expérience que vous êtes aussi lent à finir votre travail qu’à toute autre chose, nous vous écrivons ceci pour vous rappeler que pour cette fois, vous devez changer de nature et que si notre studiolo n’est pas fini à notre retour, nous avons l’intention de vous envoyer au cachot du Castello et ceci n’est pas une plaisanterie“. Ses exigences pointilleuses rendront certains peintres, tels Le Pérugin et Leonard de Vinci plus que réticents à la servir…
Capable d’entre en fureur, de fustiger, elle regrette les blessures qu’elle inflige et le lendemain assure son serviteur comme son décorateur qu’elle a voulu plaisanter. Trop vive, mais aussi bonne et sensible ; son entourage l’adore !

ISABELLE D’ESTE - 3. Mariage avec François Gonzague

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