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Quel spectacle magnifique soffrait à nous à travers ce cadre étroit ! Nous descendions légèrement le superbe canal de la Giudecca ; le temps sétait éclairci, les lumières de la ville brillaient au loin sur ces vastes quais ( ) Devant nous, la lune mate et rouge, découpant sous son disque énorme des sculptures élégantes et des masses splendides. Peu à peu elle blanchit, se contracta et, montant sur lhorizon au milieu des nuages lourds et bizarres, elle commença déclairer les trésors darchitecture variée qui font de la place Saint Marc, un site unique dans lunivers." Près de George, Musset regarde la ville de ses rêves, la magique cité rouge, assoupie telle quil la évoquée dans lun de ses contes. En voici quelques rimes :
Venise, la glorieuse Sérénissime nest plus que lombre delle-même en ces noires années doccupation autrichienne.
Cest encore, Musset le poète qui signe lépitaphe de la ville. Comme sur un tombeau qui aurait pu être le sien, puisquil frôlera la mort à Venise. En le paraphrasant, nous dirions "Linceul dor sur les tristes amants". Les voyageurs descendent au Danieli, lAlbergo reale, lhôtel privilégié des étrangers avec le Gritti et lHôtel de lEurope. Cest un établissement luxueux dont le prix excédera bientôt les moyens de George Sand qui connaîtra dautres demeures plus modestes dans le cur de la ville. Musset ne supporte pas la maladie de sa compagne, son mutisme, sa langueur morbide. Il na aucune propension à jouer les infirmiers consolateurs. George note, triste et désabusée : Étais-je à toi à Venise ? Dès les premiers jours quand tu mas vue malade, nas-tu pas pris lhumeur en disant que cétait bien triste et bien ennuyeux une femme malade ? Et nest-ce pas du premier jour que date notre rupture ? George, souffrante, exténuée na aucun goût pour la fête à Venise. Or Alfred veut samuser, senivrer, voir des filles. Sa maîtresse alitée lui pèse. Il sort, va au théâtre de la Fenice, suit les masques de Carnaval qui lattirent le long des canaux. Les premiers jours, malgré les malaises persistants de George, ils sacrifient aux rites touristiques, visitent le musée de lAcademia, la Salute. Lelia et Stenio vont sur les traces de Byron, mort 10 ans plus tôt. Byron, lamoureux de Venise, la ville fée quil a chanté dans son poème Childe Harold. Ils limaginent dans sa demeure, le palazzo Mocenigo. Ils le voient couché sur son cheval, galopant, soulevant les sables du Lido. Quatre mois auparavant ils auraient pu y croiser Chateaubriand en quête dinspiration, sensible à lair marin qui baigne le rivage. Toute autre est la vision des nouveaux visiteurs. La romancière frissonne encore, au souvenir du Lido vénitien quelle évoque dans sa correspondance : Le Lido tant vanté à Venise a des sables dune affreuse nudité, peuplé dénormes lézards qui sortent par milliers, sous vos pieds et semblent vous poursuivre de leur nombre toujours croissant, comme dans un mauvais rêve. Alfred, lui, déteste.
À Venise, cet amant-enfant lui échappe et court les vénitiennes. Le Casanova français senivre auprès des chanteuses de la Fenice, pendant que George, se voit réduite au rôle de trouble-fête. Les deux voyageurs nont plus grand chose à échanger. La romancière se souvient : "Un certain soir que je noublierai jamais, dans le casino Danieli (elle fait parler Musset) George, je métais trompé, je ten demande pardon mais je ne taime pas Après quoi la porte de nos chambres fut fermée entre nous et nous avons essayé de reprendre notre vie de bons camarades. Mais cela nétait plus possible. Tu tennuyais, je ne sais ce que tu devenais le soir, et un jour tu me dis que tu craignais davoir une mauvaise maladie. ( ) Si je neusse été malade, si on neût dû me soigner dès le lendemain, je serais partie." Ce témoignage, écrit quelques années plus tard, dans Elle et Lui, leur histoire amoureuse revue et corrigée par George Sand, montre à lévidence le souci de la romancière cherchant à se justifier à ses propres yeux et à ceux de ses lecteurs. Musset, en quelque sorte amant indigne, blesse, dédaigne, trompe sa maîtresse, la laissant libre de nouer dautres liens amoureux, libre de rencontrer lautre homme, celui qui va surgir au milieu du duo discordant. Pietro Pagello, le docteur de Venise viendra jouer sa partition dans le trio ainsi créé. Nous verrons que les vrais amants de Venise sont George Sand et Pietro Pagello, ce qui nempêche quElle et Lui en mettant en scène, en écrivant les étapes de leur passion, ont fabriqué, pour la postérité, le mythe du couple romantique exalté, déchiré, créé pour faire rêver des générations de lecteurs. Quand George sera guérie, debout, cest lui, le capricieux poète qui tombera, couché sur un lit de douleur en proie à la fièvre et au délire. |
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