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Pietro, dans le journal quil a laissé, comme témoignage de ses amours avec la célèbre française, trace ce court portrait : Una donna giovine duna fisionomia melanconica, con capegli nerissimi e due occhi duna espressione decisa e virile. Le jeune médecin lui propose une saignée qui la soulage immédiatement. George commence à revivre. Au plus fort de son désespoir, elle a trouvé une figure amie, quelquun qui la regarde avec admiration. Enfin Venise lui sourit ! Entre le médecin et sa patiente sétablit dabord une relation amicale puis bientôt une intimité croissante qui provoquera la jalousie de Musset. Mais avant cette rencontre, les disputes sont quotidiennes entre George et Alfred. Avant tout sentimentales, elles sont aussi dordre professionnel, pourrait-on dire. Vivre à Venise nempêche pas linfatigable romancière de se livrer à sa passion dominante, lécriture. Elle comprend mal que Musset nen fasse pas autant. Or le poète est en panne dinspiration. Ce nest pas un tâcheron organisé, méthodique, capable décrire sur tout à tout moment comme sa compagne. Au poète, il faut létincelle qui fasse jaillir linspiration, des émotions fortes, de lalcool surtout et la fréquentation des filles, autre excitant nécessaire. Musset la dailleurs reconnu: Je nai jamais pu travailler quà mes heures et non par commandement. Deux natures opposées, deux styles différents. Tels ils sont, tels ils resteront. Le 30 janvier Musset tombe malade et George fait une rechute. Elle écrit à Boucoiran, le précepteur de Maurice : Je viens encore dêtre malade dune dysenterie affreuse. Mon compagnon de voyage est très malade aussi." Inquiète pour Musset, elle écrit au Dr Pagello un billet où elle tente, dans un italien maladroit, de lui expliquer le tempérament du poète : Poeta molto ammirato in Francia. Mais lexaltation du travail de lesprit, le vin, les fêtes, les femmes, le jeu lont beaucoup fatigué et excité Il y a 3 mois, il a été comme un fou pendant une nuit ; il voyait comme un fantôme autour de lui et criait de peur et dhorreur." La romancière fait allusion aux premiers temps de leur rencontre, à leur évasion amoureuse dans la forêt de Fontainebleau. Musset en proie à la folie comme le chevalier Tristan dans les bois de Noroît, fut pris de frénésie hallucinatoire sous les yeux effrayés de sa compagne. Scène pénible, toujours présente à lesprit de George Le poète, quant à lui, fixera ses souvenirs dans La Nuit de décembre, où son double lui apparaît.
Ce malheureux vêtu de noir hantera bientôt ses cauchemars vénitiens. George Sand raconte au précepteur de son fils, en date du 8 février 1833 : "La nuit dernière a été horrible. 6 heures dune frénésie telle que malgré deux hommes robustes, il courait nu dans la chambre Les deux hommes ne pouvaient lui faire lâcher le collet de ma robe A Buloz, son éditeur, elle confie le 13 février : "Il y a 8 jours que je ne me suis déshabillée". Et dans Histoire de ma vie : Je passais 17 jours à son chevet sans prendre plus dune heure de repos sur 24." Musset souffre de crises de delirium, de folie furieuse aggravées par son alcoolisme. Cest vraiment la fin du rêve vénitien. George aidée de Pagello, lutte pour maintenir en vie le poète moribond. Au chevet du malade, ils font connaissance et sapprécient. Pagello écrira dans ses souvenirs Nous parlions de la littérature, des poètes et des artistes italiens, de Venise, de son histoire, de ses monuments, de ses coutumes. George Sand prend des notes qui nourriront ses futurs romans. Un soir, elle se met à écrire avec la fougue dun improvisateur, comme le consigne Pagello. Une heure plus tard, elle remet un feuillet au Docteur, écrit sur lenveloppe Au stupide Pagello et lui dit : Cest pour vous. Dans ce texte, curieusement intitulé, En Morée, la romancière exprime son désir dun nouvel amour. En voici quelques extraits : Nés sous des cieux différents, nous navons ni les mêmes pensées ni le même langage ; aurons-nous du moins des curs semblables ? Lardeur de tes regards, létreinte violente de tes bras, laudace de tes désirs me tentent et me font peur. Seras-tu pour moi un appui ou un maître ? Me consoleras-tu des maux que jai soufferts avant de te rencontrer ? Es-tu un homme? Quy a-t-il dans cette mâle poitrine, dans cet il de lion, dans ce front superbe ? Serai-je ta compagne ou ton esclave ? Me désires-tu ou maimes-tu? Quand ta passion sera satisfaite, sauras-tu me remercier ? les plaisirs de lamour te laissent-ils haletant et abruti ou te jettent-ils dans une extase divine ? Je taime sans savoir si je pourrais testimer, je taime parce que tu me plais Toute la lettre est pleine de ces accents passionnés, de ces interrogations fiévreuses presque brutales qui rendent sa prose si vivante, si moderne. Pagello confesse quil fut subjugué par ce lyrisme débordant mais en même temps un peu effrayé. Cette femme me fait peur ; elle me séduit par le charme irrésistible de son talent." Ce fut le début de leur liaison, liaison secrète quAlfred doit ignorer. Voilà venu pour George le temps des embrasements célestes cest ainsi quil lui plaît dévoquer pudiquement ses relations charnelles, un euphémisme quon retrouve sous sa plume dès quil sagit de célébrer les voluptés procurées par le nouvel amant dont elle sest entichée. Voilà pour Musset venus des temps amers. George et Pietro sont-ils discrets ? Musset prétendra plus tard, avoir vu, en face de son lit de malade, une femme assise sur les genoux dun homme et deux têtes rapprochées par un baiser. Il se souviendra de la tasse de thé, posée sur la table, lunique tasse de thé vide, preuve irréfutable quils avaient bu tous deux au même calice. Il en concevra une jalousie folle que George Sand, troublée, na de cesse dapaiser pour garder lamitié dAlfred et sauver sa réputation. Mais au fond delle, George se sent libre de nouer une nouvelle relation avec qui lui plaît. Musset la repoussée. Cest un libertin qui sest empressé de quitter sa compagne ennuyeuse et malade pour senivrer sans retenue et courir les filles. Combien de fois Pagello na-t-il pas ramené à George un Alfred ivre mort ? Elle la soigné avec un dévouement absolu pendant sa terrible maladie. Le Dr aussi. Ils lont soigné comme leur enfant chéri. Toutes les lettres quelle échange avec Musset après son départ, visent à accréditer la pureté de ses liens avec Pagello, tant quAlfred lui-même, était auprès deux à Venise. Avec un machiavélisme que certains critiques se plaisent à souligner, en tout cas avec un art tout particulier de sa mise en valeur, Mme George Sand sait sattribuer le beau rôle dans ses aventures amoureuses. En loccurence, Musset reconnaissant, admire Pagello, son sauveur. Quel homme que ce Pagello ! Il ma presquavoué quil taime Pagello est lhomme quil te fallait ma pauvre George. |
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