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Son but : convaincre le poète qu’il a la meilleure part dans cet étrange arrangement, que le docteur et elle l’aiment tendrement, que tous trois forment une figure idéale, une famille spirituelle. En somme, une trinité d’un nouveau genre où Mme Sand tiendrait le rôle de déesse-mère. Simone de Beauvoir, irritée de ce qu’elle appelle “Le mensonge radical" chez George Sand, se dit : ”écœurée par ce masque vertueux qu’elle a posé sur son visage", ajoutant : ”Elle affiche pour tous ses amants des sentiments maternels ; couchant avec Pagello, elle prétend qu’ensemble ils aimeront Musset comme leur enfant." Cette attitude maternelle envers Musset crée, en effet, la confusion des rôles : mère ou amante que veut-elle ? Pour l’heure, être la mère d’Alfred et l’amante de Pagello.

Malheureux, coupable, subjugué, Alfred prend place dans ce tableau mystique à trois personnages où il est prié de figurer en ange de l’acceptation. Sous des dehors de dandy cynique, malgré un penchant pour une vie dévoyée, c’est un jeune homme, sensible et déchiré qui s’est brûlé aux feux de Lelia. Il souffre, il est jaloux mais il est prêt à entrer dans le jeu qui lui est imposé. Il n’a pas la certitude que George le trompe ; elle est si convaincante, si noble !. Il se persuade qu’il n’est pas digne de sa maîtresse et qu’elle a trouvé en Pagello l’homme idéal qui saura la comprendre et l’aimer. Le 27 mars, deux jours avant de quitter Venise, il lui écrit : “J’ai senti que j’avais mérité de te perdre et que rien n’est trop dur pour moi. S’il t’importe peu de savoir si ton souvenir me reste ou non, il m’importe à moi, de te dire que rien d’impur ne restera dans le sillon de ma vie où tu as passé et que celui qui n’a pas su t’honorer quand il te possédait, peut encore y voir clair à travers ses larmes et t’honorer dans son cœur, où ton image ne meurt jamais.“ Étranges paroles semblables à celles qu’un croyant adresse à la sainte icône de la Mère qu’il a offensée. Cette déclaration passionnée nous en dit long sur la puissance de séduction qu’exerçait George Sand !

Même deux ans plus tard, en 1836, quand Musset donnera une version romancée de sa liaison avec George, dans Les Confessions d’un enfant du siècle, il parlera d’elle avec élégance et ferveur, au grand contentement de madame Sand. Il présente sa maîtresse sous les traits de Brigitte Pierson, et fait un portrait flatteur de cette femme dont les yeux noirs le hanteront jusqu’à la mort. (2 mai 1857). Pourtant, la même année en 1834, dans son poème, La Nuit d’octobre, il laisse paraître rancune et colère envers celle qui l’a trahi. Il aura appris entre temps que George Sand et Pagello filaient le parfait amour alors même qu’il gisait malade, à Venise

“Honte à toi qui la première
“M’as appris la trahison
Et d’horreur et de colère
M’as fait perdre la raison !
Honte à toi, femme à l'œil sombre,
Dont les funestes amours
Ont enseveli dans l’ombre
Mon printemps et mes beaux jours !

Le poète se souvient de Venise, de sa maîtresse infidèle pressée de le voir partir, de l’horreur de cette situation chaotique où il ne fut qu’un pauvre pantin manipulé.

Il est vrai qu’en ce printemps vénitien de 1834, George veut étouffer en elle, tout sentiment de culpabilité, revivre, s’enivrer d’un nouvel amour. George Sand veut mordre la vie comme on mord dans un fruit. Ce fruit est là, à sa portée. Il la tente, il s’appelle Pietro Pagello. Rien ne l’empêchera d’y goûter. Dans son Journal intime, quelques années plus tard, sans faux-fuyant, sans ce recours à l’euphémisme dont elle abuse, parfois si agaçant, elle écrira ceci : "Mon Dieu ! Rendez- moi ma féroce vigueur de Venise. Rendez-moi cet âpre amour de la vie qui m’a prise comme un accès de rage, au milieu du plus affreux désespoir. L’amour de la vie est donc un crime ? L’homme qui vient dire à une femme : vous êtes abandonnée, méprisée, chassée, foulée aux pieds; vous l’avez peut-être mérité. Eh, bien moi, je ne vous connais pas mais je vois votre douleur et je vous plains et je vous aime. Je vous aiderai à remplir vos devoirs près d’un adolescent… Un homme qui disait cela, pouvait-il me sembler coupable à ce moment-là ?“ Combien cette femme-là, celle du Journal intime, nous paraît séduisante dans sa sincérité, quand elle oublie de se draper dans le rôle de la femme parfaite, de l’amoureuse au-dessus de tout soupçon.

George Sand et l’Italie : 7. Le trio vénitien