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Malgré cet imbroglio sentimental des plus destructeurs, George s’attelle à l’écriture du roman intitulé Jacques dont elle situe l’action à Venise : roman qui lui vaudra quelques mois plus tard, une lettre flatteuse de Chateaubriand, le père de René, Ce héros romantique, atteint du mal de vivre dont Alfred de Musset est le parfait exemple. "Je vais lire Jacques dans la forêt de Fontainebleau. Vous avez, Mme, attaché un nouveau prestige à cette ville des songes d’où je partis autrefois pour la Grèce avec tout un monde d’illusions : revenu au point du départ, René a promené dernièrement au Lido ses regrets et ses souvenirs, entre Childe Harold qui s’était retiré, et Lélia prête à paraître."

La situation des personnages du roman rappelle celle du trio vénitien : Jacques ressemble à Musset. Amoureux de Fernande, alias George, il acceptera de s’effacer devant le nouvel élu Octave qui emprunte plusieurs traits à Pagello. Dans ce roman, George Sand exprime la fatalité de la passion amoureuse considérée comme sacrée. Pour calmer ses scrupules de conscience, George qui a lâché Musset, imagine que son héros Jacques non seulement se suicide mais encore qu’il s’arrange pour maquiller en accident de montagne, sa chute volontaire, afin que libérés de la présence du mari gênant, les amants puissent jouir sans remords de leur passion. Le sacrifice de Jacques les a libérés comme Musset, en partant, leur a laissé le champ libre. La cause plaidée par l’auteur paraît indéfendable, elle-même le savait bien. Elle répond aux critiques en arguant de la liberté du créateur.

Elle travaille aussi à un autre roman, Leone Leoni, inspiré des Mémoires de Casanova. Elle y fait revivre la Venise aux mœurs orientales et leur trio amoureux sous des noms d’emprunt. À propos de Leone Leoni, Pagello évoque, dans son Journal, le point de vue de l’auteur sur son travail de romancier. En mars, elle le charge d’envoyer à Buloz, le manuscrit de son roman; le docteur veut lire le contenu mais elle l’en empêche avec hâte : “Ne lisez pas. J’écris pour un public avide de nouveautés et de mensonges. Ne veuillez pas me connaître dans mes écrits, j’en aurais une grande peine." Mme Sand n’était pas dupe ! Lucide, elle savait bien qu’elle devait son succès à des histoires à sensation prises dans le tissu même de sa vie sentimentale agitée.

En ce mois de mars 1834, George et Alfred connaissent une accalmie dans leurs rapports tendus grâce à l’arrivée à Venise d’un ami de Musset, Alfred Tattet. Ils vont au théâtre de la Fenice écouter la cantatrice Giuditta Pasta que George connaît et apprécie. Ce soir-là, elle qui aime l’opéra de Mercadante, se montre choquée des habitudes du public vénitien qu’elle juge mal élevé, excessif. Dans Consuelo, magnifique roman qui paraîtra 10 ans plus tard, elle décrit l’ambiance survoltée d’une salle de concert à Venise. Consuelo, jeune vénitienne, à la voix d’or, se produit sur la scène d’un théâtre de la ville : “Elle chanta son grand air du début et fut interrompue 10 fois; on cria bis, hurlements d’enthousiasme… La fureur du dilettantisme vénitien s’exhala dans toute sa fougue à la fois entraînante et ridicule - Qu’ont-ils à crier ainsi, dit Consuelo, en rentrant dans la coulisse… on dirait qu’ils veulent me lapider.“ Ce comportement déchaîné blessait George Sand mélomane exigeante dont on connaît le goût pour la musique et les musiciens puisqu’elle s’éprendra de Chopin, 4 ans plus tard. Poésie et musique sont au cœur de sa vie, à quoi il faudrait ajouter son intérêt pour la politique ! Elle sera la pasionaria de la gauche républicaine en 1848.

À Venise, George trouve en Alfred Tattet quelqu’un avec qui s’épancher. Ils deviennent amis. Le 22 mars quelques jours après le départ de ce gai compagnon, George lui écrit une lettre amicale, piquée de malice : "Si quelqu’un vous demande ce que vous pensez de la féroce Lélia, répondez seulement qu’elle ne vit pas de l’eau des mares et du sang des hommes… dites qu’elle vit de poulet bouilli, qu’elle porte des pantoufles le matin et qu’elle fume des cigarettes de Maryland… L’Illustrissimo professore Pagello vous adresse mille compliments et amitiés… Je lui ai traduit servilement le passage sombre et mystérieux de votre lettre où il est question de lui et de Melle Antonietta… Le docteur Pagello a souri, rougi, pâli, les veines colossales de son front se sont gonflées, il a fumé trois pipes ; ensuite il a été voir jouer un opéra nouveau de Mercadante à la Fenice puis il est revenu et, après avoir pris quinze tasses de thé, il a poussé un grand soupir et il a prononcé ce mot mémorable que je vous transmets aveuglément pour que vous l’appliquiez à telle question qu’il vous plaira : Forse ! “ Peut-être ! Ce portrait plein de verve dit bien le plaisir tout neuf que George Sand éprouve auprès de son nouvel amant.

Musset quitte Venise le 29 mars 1834. Elle l’accompagne jusqu’à Mestre. George Sand est triste mais elle respire, soulagée. Et pourtant, cet amour qu’elle croit mort à Venise, ces embrasements célestes qu’elle réserve maintenant à Pagello, toute cette folie n’attend que Paris pour renaître. Quelques mois plus tard, George Sand revenue à Paris, en compagnie de son sigisbée italien, n’aura de cesse de renouer avec Musset cette liaison interrompue. Ils reprendront leurs chaînes amoureuses, leurs rapports orageux et violents jusqu’à dissolution complète de leurs liens en 1835.

Reste pour les amateurs de littérature et les curieux de la nature humaine, les œuvres de ces deux amants de génie qui ont su faire de leur passion un feuilleton à succès, une cantate à deux voix. Les Confessions d’un enfant du siècle écrit Alfred de Musset, en 1836, un an après leur rupture, Elle et Lui, répondra George Sand en 1859. Musset est mort depuis deux ans. La romancière s’y donnera le beau rôle, et cette complaisance dans l’autosatisfaction déchaînera la colère de Paul de Musset, le frère du poète qui rétorquera en écrivant, la même année, Lui et Elle où il met George en accusation. Un nouvel avatar de cette saga sentimentale, sera la confession romancée de Louise Colet, sobrement intitulée Lui (1859).

George Sand et l’Italie : 8. Les romans vénitiens