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Dans la cité des doges en ce début d’avril : “Le printemps arrivait, le plus beau de l’univers peut-être“, écrit George Sand. Une nouvelle vie commence pour l’écrivain, la femme amoureuse en compagnie de Pietro Pagello. Ensemble, ils visiteront les Alpes de Trévise. L’écrivain consigne ses impressions, les développe dans les longues Lettres dites d’un voyageur qui seront publiées dans la Revue des deux mondes.

Dans cet ouvrage épistolaire, elle nous convie à une promenade en Vénétie. La fraîcheur et la grâce de ses descriptions rendent la lecture de ces lettres absolument délicieuse. Le point de départ de cette correspondance fictive où elle endosse l’habit masculin, est son désir de communiquer avec Musset. Elle s’en explique au poète, dans sa correspondance privée : ”Ces Lettres, pour parler tout haut de ma tendresse pour toi et pour fermer la gueule à ceux qui ne manqueront pas de dire que tu m’as ruinée et abandonnée…"

George et Pietro quittent la ville pour un voyage touristique, selon un itinéraire fixé à l’avance par Pagello. Celui-ci écrit dans son journal Da Parigi a Genova : “Je proposai à George Sand un petit voyage dans les Alpes de Trévise et pour première halte je la conduisis à Castelfranco, à la maison de mon Père qui me reçut sèchement, mais il accueillit George Sand avec l’hospitalité la plus courtoise et la plus aimable. Ils causaient littérature, arts, fleurs, et moi qui observais le bon vieillard, je le voyais petit à petit se dérider…“ Le périple commence bien pour George qui rencontre un succès d’estime auprès de Pagello-père. Ce fut un beau voyage pour George, une nouvelle fois énamourée !. Elles sont loin les nuits vénitiennes au chevet d’un malade, les scènes, la jalousie ! George Sand a retrouvé toute sa vigueur. Elle découvre enfin le visage souriant de l’Italie incarnée magnifiquement par Pietro, toujours prêt à satisfaire son moindre caprice. Elle découvre avec lui, le plaisir de la flânerie, du farniente qui est tout un art de vivre, comme le savent les Italiens.

Ils atteignent Vicenza puis s’acheminent vers Bassano. C’est dans cet état d’esprit de flânerie amoureuse que l’écrivain compose sa première Lettre d’un voyageur. Puisqu’elle s’adresse à Musset, elle prend soin de préciser que le promeneur, son alter ego, est solitaire “J’étais arrivé à Bassano à neuf heures du soir… Je m’éveillai au lever du jour et je vis à ma fenêtre, s’élever, dans le bleu vif de l’air, les créneaux enveloppés de lierre de l’antique forteresse qui domine la vallée. Je sortis aussitôt pour en faire le tour et pour m’assurer de la beauté du temps. Je trouvai le docteur assis sur une pierre… perdu dans les nuées de son tabac… Il me proposa d’aller déjeuner à une boutique de café sur les fossés de la citadelle… J’y consentis. Je te recommande, si tu dois revenir par ici, le café des Fossés à Bassano, comme une des meilleures fortunes qui puissent tomber à un voyageur ennuyé des chefs-d'œuvre classiques de l’Italie.” Le pittoresque de la ville de Bassano frappe George Sand. Elle constate aussi que : "les maisons de la ville sont encore toutes criblées de nos balles et de nos boulets. C’est très glorieux pour nous, mais fort triste pour ces campagnes si belles et que nous avons ruinées…" Elle fait bien sûr allusion à la campagne d’Italie, menée par Bonaparte. Les armées victorieuses ont laissé des blessures visibles encore dans le tissu urbain et les paysages qu’elle traverse. On sent chez elle cet élan de sympathie qui la pousse vers l’Italie blessée.

Tous deux quittent Bassano et marchent à pied, vers Oliero, en remontant le cours de la Brenta. George, grisée par le parfum de ces espaces sauvages, grisée sans doute aussi par la présence de son amant, dépeint sa promenade comme autant de moments merveilleux. “Nous avons déjeuné sur un tapis de gazon semé de primevères avec du café excellent, du beurre des montagnes et du pain anisé. (…) Le murmure de la Brenta, un dernier gémissement du vent dans le feuillage lourd des oliviers, des gouttes de pluie qui se détachaient des branches et tombaient sur les rochers avec un petit bruit qui ressemblait à celui d’un baiser, je ne sais quoi de triste, de tendre, était répandu dans l’air et soupirait dans les plantes…" La nature vit et respire auprès d’elle comme un être sensible, amoureux.

Les deux amants arrivent à Oliero, après 10 heures de chemin, à pied. C’est un joli hameau, célèbre pour ses trois grottes dont celle de Parolini. George écrit dans la première Lettre du voyageur : "J’étais épuisé de fatigue en arrivant à Oliero… Je m’étendis sur le gazon à l’entrée de la grotte et je m’y endormis. Mais les aboiements d’un grand chien noir… me réveillèrent bientôt. Cette heure de sommeil avait suffi pour me faire un bien extrême. Mes pieds étaient désenflés, ma tête libre. Je me mis à examiner l’endroit où j’étais ; c’était le paradis terrestre, c’était l’assemblage des beautés naturelles les plus gracieuses et les plus imposantes… Figure-toi un angle de la montagne couvert de bosquets en fleur. (…) Trois grottes d’une merveilleuse beauté pour la forme et les couleurs du roc occupent les enfoncements de la gorge. L’une a servi longtemps de caverne à une bande d’assassins ; l’autre recèle un petit lac ténébreux que l’on peut parcourir en bateau et sur lequel pendent de très belles stalactites. Mais c’est une des curiosités qui ont le tort d’entretenir l’inutile et insupportable profession de touriste. Il me semble déjà voir arriver, malgré la neige qui couvre les Alpes, ces insipides monotones figures que chaque été ramène (…) véritable plaie de notre génération qui a juré de dénaturer par sa présence la physionomie de toutes les contrées du globe, et d’empoisonner toutes les jouissances des promeneurs contemplatifs, par leur oisive inquiétude et leurs sottes questions.“ La modernité du propos fait de George Sand l’un de nos contemporains qu’accable aujourd’hui la frénésie touristique qui saisit l’homme moderne. La troisième grotte fait les délices de la jeune femme. Elle se contemple dans le miroir de la source et aperçoit une figure pâle qui lui fait peur. C’est la sienne empreinte d’amertume. Frissonnante, elle sort de la grotte. N’oublions pas que cette Lettre s’adresse à Musset et qu’elle feint d’être seule lors de sa randonnée pédestre.

Pagello, lui, en donne une autre version sans doute plus proche de la réalité. Il consigne dans son Journal : "Nous allâmes visiter la grotte de Parolini où George Sand enthousiaste, écrivit mon nom et le sien sur un talus couvert de varechs qui cédèrent à la pointe de son ombrelle." Véritablement inspirée par cette nature sauvage et accueillante, la convalescente glisse dans l’euphorie : “Le ciel était si pur, l’atmosphère si bienfaisante, le vallon si beau la vie circulait si jeune et si vigoureuse dans cette riche nature printanière, que je me sentis peu à peu renaître." Elle se sent jeune et vivante comme la nichée de rouges-gorges babillant, le vol rapide de l’hirondelle, le cyclamen, la sauge dont elle emporte le parfum.

Le couple arrive bientôt en vue de Possagno, berceau natal de Canova, le sculpteur à la mode qu’elle évoquait souvent avec Musset pour louer son talent. Elle constate la beauté des habitants que Canova a observés. “Les jeunes filles au teint frais et éblouissant, ont généralement une expression de douceur et de naïveté qui, reproduites sur… des formes plus délicates a pu inspirer à Canova la délicieuse tête de Psyché". George Sand exprimera son admiration pour le peuple italien. “Pourquoi les Italiens naissent-ils en quelque sorte avec le sentiment du beau ? Pourquoi un maçon de Vérone, un petit marchand de Venise, un paysan de la campagne de Rome aiment-ils contempler les beaux monuments ? Pourquoi comprennent-ils les beaux tableaux, la bonne musique ?“ Elle se sent devenue italienne celle qui sera la bonne dame de Nohant, inséparable de son Berry natal. Elle aime le temple de marbre blanc, dédié à Canova qui couronne le hameau de Possagno. Tout est beau, tout est bon à ses yeux, jusqu’à Asolo. Dans ces dispositions heureuses, ils gagnent Trévise grâce à un moyen de locomotion couleur locale : un char traîné par quatre ânesses. Ils s’installent à côté de chevreaux bêlants qu’un montagnard conduit au marché de Trevise. On imagine le plaisir de la romancière, l’amie des bêtes. “J’arrivai à Trevise le lendemain matin, après avoir dormi fraternellement avec les innocentes bêtes qui devaient tomber le lendemain sous le couteau du boucher. Cette pensée m’inspira pour leur maître une horreur invincible et je n’échangeai pas une parole avec lui durant tout le chemin.

George Sand et l’Italie : 9. Voyage dans les Alpes de Trévise