La jeunesse de Henri Beyle
Ce soir, je vais vous parler de Stendhal qui fut un amoureux de lItalie. Amoureux comblé puis déçu, heureux et malheureux, il connut lenfer et le paradis comme tous les amoureux sur cette terre.
Si je pousse la porte dun livre de Beyle, jentre en STENDHALIE, comme je rejoindrais une maison de vacances : le souci tombe des épaules, la nécessité se met en congé, le poids du monde sallège ; tout est différent ; la saveur de lair, les lignes du paysage, lappétit, la légèreté de vivre, le salut même, labord des gens. Beyle fonde pour ses vrais lecteurs, une patrie habitable... un Éden des passions en liberté irrigué par le bonheur de vivre.
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Henri adolescent
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Si je commence cet exposé en empruntant la voix de Julien Gracq, fin connaisseur de luvre de Stendhal, cest que ces phrases semblent sappliquer parfaitement à létat desprit dHenri Beyle quand, jeune soldat de 17 ans, lui-même pousse son cheval bai clair sur les pentes du saint Bernard, avant dentrer en Italie, son pays délection, et que, pour lui alors, commence le bonheur dans cette patrie habitable quil touche le 7 mai 1800, pour la première fois ; cavalier maladroit, enrôlé dans les troupes du général consul Bonaparte chargées de reconquérir, sur les Autrichiens, le Nord de la péninsule italienne. Amoureux de lItalie, Henri Beyle lest déjà tout enfant, inconsciemment, dans lamour quil porte à sa mère, née Gagnon ; patronyme bien français mais dont il se plaît à reconstituer lorigine italienne, car il se persuade que lItalie est la terre natale des Gagnon. Stendhal dans son autobiographie, écrite à Civita Vecchia, au soir de sa vie, la Vie de Henry Brulard évoque les propos de son grand-père Gagnon qui lentretenait dun pays où les oranges croissent en pleine terre. Il écrit en 1836, 6 ans avant sa mort, Avec ce que je sais de lItalie aujourdhui, je traduirai ainsi quun M. Guadagni ou Guadaniamo ayant commis quelque petit assassinat en Italie, était venu à Avignon vers 1650, à la suite de quelque légat du pape. Il ajoute : ce qui me confirme dans cette idée dorigine italienne, cest que la langue de ce pays était en grand honneur dans ma famille ; chose bien singulière dans une famille bourgeoise de 1780. Mon grand-père savait et honorait litalien. Ma pauvre mère lisait souvent, dans loriginal, la Divine Comédie de Dante. Sa mère chérie venait donc dun pays de délices ! Et le jeune Henri, tout enfant, entendait la voix de lItalie dans la langue poétique de Dante Alighieri ! Il ne devait jamais loublier, pas plus que la mort de sa mère quil perdit à lâge de 7 ans.
Elle périt à la fleur de la jeunesse et de la beauté
avec la mort de ma mère, finit toute la joie de mon enfance. Jai perdu ce que jaimais le plus au monde. Cette mère adorée a jeté sur lui un feu extraordinaire que révèlent certaines pages de son autobiographie, sorte de cure analytique ou le cur mis à nu dun homme de 50 ans qui cherche à éclairer sa propre nature. Il avoue franchement : Ma mère, Mme Gagnon était une femme charmante et jétais amoureux delle. Je me hâte dajouter que je la perdis quand javais 7 ans. Je voulais la couvrir de baisers et quil ny eut pas de vêtements. Elle maimait à la passion et membrassait souvent; je lui rendais ses baisers avec un tel feu quelle était souvent obligée de sen aller. Jabhorrais mon père quand il venait interrompre nos baisers. Dailleurs, elle na participé en rien à cet amour. Quant à moi, jétais aussi criminel que possible, jaimais ses charmes avec fureur.
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Le grand-père Gagnon
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Tout est dit, avec lucidité et sans pathos de ce que Freud appellera plus tard le complexe ddipe. À 7 ans, chassé du jardin des délices maternelles, voilà le jeune Henri, révolté, confronté au mortel ennemi : son père, Chérubin Beyle quil exècre autant quil adorait sa mère. Un papa Chérubin, certes peu angélique mais quil noircit avec vigueur pour mieux marquer son ancrage dans la famille Gagnon, celle qui vient dItalie, la patrie des beaux-arts et quil vénère en la personne de son grand-père, son initiateur aux beautés de la vie.
Stendhal avoue : Jétais au fond de lâme jaloux de mon père ; il déteste, par conséquent, toutes les valeurs prônées par M. Beyle, avocat au Parlement du Dauphiné et qui se pique daristocratie. M. lavocat est royaliste, dévot, avare et pédant, Henri sera donc républicain, anticlérical, dépensier, amoureux des plaisirs et des arts qui brillent en Italie, la terre de ses ancêtres maternels.
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