Stendhal

(1783-1842)

Un amoureux de l’Italie


La jeunesse de Henri Beyle

Ce soir, je vais vous parler de Stendhal qui fut un amoureux de l’Italie. Amoureux comblé puis déçu, heureux et malheureux, il connut l’enfer et le paradis comme tous les amoureux sur cette terre.

“Si je pousse la porte d’un livre de Beyle, j’entre en STENDHALIE, comme je rejoindrais une maison de vacances : le souci tombe des épaules, la nécessité se met en congé, le poids du monde s’allège ; tout est différent ; la saveur de l’air, les lignes du paysage, l’appétit, la légèreté de vivre, le salut même, l’abord des gens. Beyle fonde pour ses vrais lecteurs, une patrie habitable... un Éden des passions en liberté irrigué par le bonheur de vivre“.
Henri adolescent
Si je commence cet exposé en empruntant la voix de Julien Gracq, fin connaisseur de l’œuvre de Stendhal, c’est que ces phrases semblent s’appliquer parfaitement à l’état d’esprit d’Henri Beyle quand, jeune soldat de 17 ans, lui-même pousse son cheval “bai clair” sur les pentes du saint Bernard, avant d’entrer en Italie, son pays d’élection, et que, pour lui alors, commence le bonheur dans cette patrie “habitable” qu’il touche le 7 mai 1800, pour la première fois ; cavalier maladroit, enrôlé dans les troupes du général consul Bonaparte chargées de reconquérir, sur les Autrichiens, le Nord de la péninsule italienne. Amoureux de l’Italie, Henri Beyle l’est déjà tout enfant, inconsciemment, dans l’amour qu’il porte à sa mère, née Gagnon ; patronyme bien français mais dont il se plaît à reconstituer l’origine italienne, car il se persuade que l’Italie est la terre natale des Gagnon. Stendhal dans son autobiographie, écrite à Civita Vecchia, au soir de sa vie, la “Vie de Henry Brulard” évoque les propos de son grand-père Gagnon qui l’entretenait d’un pays “où les oranges croissent en pleine terre”. Il écrit en 1836, 6 ans avant sa mort, “Avec ce que je sais de l’Italie aujourd’hui, je traduirai ainsi qu’un M. Guadagni ou Guadaniamo ayant commis quelque petit assassinat en Italie, était venu à Avignon vers 1650, à la suite de quelque légat du pape”. Il ajoute : “ce qui me confirme dans cette idée d’origine italienne, c’est que la langue de ce pays était en grand honneur dans ma famille ; chose bien singulière dans une famille bourgeoise de 1780. Mon grand-père savait et honorait l’italien. Ma pauvre mère lisait souvent, dans l’original, la Divine Comédie de Dante”. Sa mère chérie venait donc d’un pays de délices ! Et le jeune Henri, tout enfant, entendait la voix de l’Italie dans la langue poétique de Dante Alighieri ! Il ne devait jamais l’oublier, pas plus que la mort de sa mère qu’il perdit à l’âge de 7 ans.

“Elle périt à la fleur de la jeunesse et de la beauté… avec la mort de ma mère, finit toute la joie de mon enfance. J’ai perdu ce que j’aimais le plus au monde.” Cette mère adorée a jeté sur lui un feu extraordinaire que révèlent certaines pages de son autobiographie, sorte de cure analytique ou le cœur mis à nu d’un homme de 50 ans qui cherche à éclairer sa propre nature. Il avoue franchement : ”Ma mère, Mme Gagnon était une femme charmante et j’étais amoureux d’elle. Je me hâte d’ajouter que je la perdis quand j’avais 7 ans. Je voulais la couvrir de baisers et qu’il n’y eut pas de vêtements. Elle m’aimait à la passion et m’embrassait souvent; je lui rendais ses baisers avec un tel feu qu’elle était souvent obligée de s’en aller. J’abhorrais mon père quand il venait interrompre nos baisers. D’ailleurs, elle n’a participé en rien à cet amour. Quant à moi, j’étais aussi criminel que possible, j’aimais ses charmes avec fureur.”
Le grand-père Gagnon
Tout est dit, avec lucidité et sans pathos de ce que Freud appellera plus tard le complexe d’Œdipe. À 7 ans, chassé du jardin des délices maternelles, voilà le jeune Henri, révolté, confronté au mortel ennemi : son père, Chérubin Beyle qu’il exècre autant qu’il adorait sa mère. Un papa Chérubin, certes peu angélique mais qu’il noircit avec vigueur pour mieux marquer son ancrage dans la famille Gagnon, celle qui vient d’Italie, la patrie des beaux-arts et qu’il vénère en la personne de son grand-père, son initiateur aux beautés de la vie.

Stendhal avoue : ”J’étais au fond de l’âme jaloux de mon père“ ; il déteste, par conséquent, toutes les valeurs prônées par M. Beyle, avocat au Parlement du Dauphiné et qui se pique d’aristocratie. M. l’avocat est royaliste, dévot, avare et pédant, Henri sera donc républicain, anticlérical, dépensier, amoureux des plaisirs et des arts qui brillent en Italie, la terre de ses ancêtres maternels.

La jeunesse de Henri Beyle (1783-1799) — 1