Stendhal

(1783-1842)

Un amoureux de l’Italie


Le petit garçon malheureux pleure sa mère en secret. Heureusement existe l’évasion par les livres, dans la compagnie appréciée de son grand-père Gagnon : ”mon véritable père et mon ami intime“, comme il aime à le dire. Henri Gagnon, médecin attitré de la bonne société grenobloise, homme des Lumières, forme le goût et le paysage mental de son petit-fils révolté par la tyrannie paternelle.

Grenoble - Place Grenette - lithographie de 1863

De sa ville natale, il écrit : “Tout ce qui me rappelle Grenoble me fait horreur, non horreur est trop noble, mal au cœur.” D’un côté, la maison de son père sombre, froide, humide ; de l’autre, celle du Dr Gagnon, l’une des plus belles de la ville qui s’ouvre sur une terrasse fleurie où son grand père lui nomme les constellations scintillantes dans la douceur des soirs d’été, lui apprend, aussi, que seule compte la connaissance du cœur humain. Le petit garçon regarde, respire, s’épanouit ; il lit les ouvrages des grands hommes du passé dont cette “Divina Commedia“ que sa mère lisait dans le “dolce stil nuovo“, le doux parler toscan, devenu la langue italienne.

Au fil de ses souvenirs, il écrit dans la “Vie de Henri Brulard“ : ”Mon respect pour Le Dante est ancien, il date des exemplaires que je trouvai dans le rayon de la bibliothèque paternelle, occupé par les livres de ma pauvre mère et qui faisaient ma seule consolation, pendant la tyrannie Raillane.” Le noir abbé Raillane, son précepteur exécré : ”comme un vrai journal ministériel, il ne savait nous parler que des dangers de la liberté“, enrage-t-il. Alors que Torquato Tasso, dit Le Tasse, et surtout L’Arioste, ces vieux poètes du XVIème siècle font l’éducation de son âme. L’Orlando furioso, le Roland furieux de l’Arioste enflamme son imagination. “Il forma mon caractère, dit-il, je devins fou de Bradamante et je me figurais une grosse fille de 24 ans avec des appas de la plus éclatante blancheur...” Les aventures romanesques le bouleversent et l’exaltent. Fou des charmes féminins, fou d’un monde chevaleresque, où l’héroïsme est le pain quotidien, le jeune Stendhal est bien loin de l’austère maison Beyle où l’on compte l’argent, en priant Dieu qu’il veille sur les riches. Tout l’auteur est déjà là dans ses futurs héros, Julien Sorel, Fabrice del Dongo, Octave de Malivert, Lucien Leuwen, portraits sublimés de l’auteur.


 

Henri Beyle jeune homme,
par Boilly
En attendant, à côté du grand-père bienveillant, veille aussi sa tante Élisabeth, née Gagnon, ses bons génies qu’il évoque souvent : “Après que 5 ans de séjour continu à Rome m’ont fait pénétrer dans la connaissance physique des Romains, je vois que mon grand-père avait exactement la taille, la tête et le nez romains. Bien plus, mon oncle Romain Gagnon avait une tête évidemment presque romaine. Ma tante Élisabeth était une grande femme avec une belle figure italienne, un nez aquilin, etc…“ Cela nous fait sourire, mais on le voit, les gens qu’il aime, ceux de son clan, il les sculpte dans le marbre romain, “beaux comme l’antique”. L’adulte vieillissant, consul à Civita-Vecchia, ressuscite l’enfant de Grenoble, déjà marqué de l’empreinte italienne. L’enfant grandit, assiste aux soubresauts de la Révolution française, se réjouit de la mort de Louis XVI et se passionne pour le dessin et les mathématiques. Il aime la lo-gique, comme il le dit et l’écrit en détachant bien les deux syllabes. Il entre à l’école centrale de Grenoble, nouvellement installée par la Révolution. Il y voit un moyen d’évasion par les mathématiques puisqu’elles conduisent à l’École polytechnique de Paris. Un premier prix, le 15 sept 1799, l’emporte vers la capitale.

Le jeune Rastignac est un gros garçon joufflu, au cœur tendre de jeune fille. Il n’a qu’un but : être un séducteur de femmes, écrire des pièces de théâtre, devenir un nouveau Molière. Bien vite, il renonce à Polytechnique, et rêve de gloire littéraire ! Mais quelle déception ! Tout le révulse dans Paris : trop de boue, pas assez de montagnes ! La solitude des grandes villes l’assaille, il tombe malade. Heureusement veillent sur lui les Daru, parents de son grand-père Gagnon, ils le recueillent et le soignent et vont l’aider à orienter sa vie.

La jeunesse de Henri Beyle (1783-1799) — 2