Stendhal

(1783-1842)

Un amoureux de l’Italie


Il retrouve Paris où il prépare son avenir d’écrivain et de séducteur, tout ce qu’il faut pour la chasse au bonheur. Il s’habille en dandy, apprend l’anglais pour lire Shakespeare dans le texte… Il se met à écrire des comédies qui ne verront jamais le jour, s’amourache d’une actrice, Mélanie Guibert, la suit à Marseille, s’essaye aux affaires qu’il rate, s’ennuie, se lasse de Mélanie qui l’aime trop puis revient à Paris désœuvré, en quête de quelque chose qui ne vient pas. Que faire ? Le cousin Daru, intendant général de la grande armée napoléonienne, futur ministre, pourra-t-il pardonner les foucades de son protégé ? Le grand-père Gagnon, toujours son bon génie, intercède auprès de lui. Voilà notre héros remis en selle, de nouveau au service de Napoléon.

Bientôt il court sur les routes d’Europe. Nommé intendant des domaines de l’empire, il s’entend appeler Monseigneur. Quel délice de vanité ! Il prend feu pour sa cousine, la femme de Pierre Daru. Alexandrine lui offre sagement son amitié. Beyle est renvoyé à Paris. C’est l’apogée de sa carrière, sa période de splendeur : il dépense sans compter, appartement, équipage, jolies grisettes… Nommé Auditeur au Conseil d’État puis inspecteur du mobilier et des bâtiments de la Couronne, il rencontre Vivant Denon, le premier organisateur du musée du Louvre.

Le bain de Léda
Le Corrège

C’est ainsi qu’il s’initie à la peinture et reçoit la révélation du Beau pictural à travers Le Corrège, peintre italien du XVIème siècle né près de Parme. Cette admiration pour l’artiste qu’il place au panthéon de ses grands hommes, le rapproche d’Angela qu’il n’oublie pas ; toujours amoureux de son rêve malgré les consolations bien tangibles qu’il trouve auprès d’Angelina Bereyter. Cette aimable cantatrice vient à son domicile parisien lui chanter des airs italiens sans parvenir, pour autant, à s’en faire aimer. L’idéal féminin de son amant se trouve affiché sur un mur de la chambre. C’est la Léda du Corrège qu’il adore. Les figures féminines de l’artiste italien lui donnent la sensation de grâce voluptueuse qu’il recherche avant tout. Le visage exquis de Léda qui joue avec le cygne au sortir de son bain, l’attire et lui rappelle la belle Milanaise. Angélina pâlit sans doute de la comparaison.
Stendhal, le "chinois"
L’Italie dans le cœur et l’âme insatisfaite, l’Auditeur au Conseil d’État court sur les traces d’Angela. Il arrive à Milan le 29 août 1811 , car, proclame-il : ”Il me faut aimer et être aimé, ce bonheur d’habit et d’argent ne me suffit pas“. Il frappe à la porte de Mme Pietragrua, magnifiquement laid, le feu dans le regard. Angela s’écrie : ”Il Chinese, le Chinois” (ce portrait ci-contre permet de comprendre ce surnom). Il lui rappelle son amour juvénile, conservé pendant 10 ans : ”Non pas de fidélité mais de constance“ admet-il. Elle se montre accueillante, sans doute flattée. Le jeune adolescent, mort de trac devant elle, est devenu un personnage important : un titre, de l’argent, une flamme entraînante, Angela sent qu’elle peut chavirer dans ses bras. Et : ”La Sibylle sublime, terrible de beauté surnaturelle“ (c’est ainsi qu’il en parle), la veille de son départ, laisse le Chinois remporter sa victoire. En témoigne le bulletin du vainqueur, quelques mots laconiques écrits sur ses bretelles : ”21 septembre 1811, 11 heures et demie du matin. La vie est belle !“ Après quoi, Angela se presse de l’expédier en voyage mais il se croit aimé.

Monsieur l’Inspecteur des bâtiments de la Couronne voyage en Italie. "Quand on a du cœur et une chemise, écrit-il, il faut vendre sa chemise pour voir les environs du lac Majeur, Santa Croce à Florence, Le Vatican à Rome et le Vésuve à Naples.” Il visite Bologne, Parme, Florence, Venise, Rome, où il rencontre Canova, sculpteur célébrissime à son époque, Naples, dont il écrit : “c’est sans comparaison, à mes yeux, la plus belle ville de l’univers" Il fréquente le théâtre San Carlo, autre temple de la musique dont il admire les fastes de l’architecture. Il découvre la peinture italienne “Les divines madones” du Corrège et de Raphaël ; la peinture du Titien : “la vérité de la couleur”. Celle des peintres de l’école de Bologne, "la perfection dans la peinture". Il commence à écrire une “Histoire de la peinture en Italie“ qu’il dédie primitivement à Angela.

Il aime vivre à Milan mais son congé expire, il doit regagner Paris et suivre l’Empereur. Le 23 juillet 1812, il part pour la Russie derrière la Grande Armée. Il voit l’incendie allumé dans la ville de Moscou, la débâcle annoncée et l’armée en déroute. Il traverse à temps les ponts de la Berezina, fait son devoir en dépit des conditions atroces. L’amoureux des Beaux-Arts, de la dolce vita, avait du cran. Il engrange des souvenirs et laisse à ses héros le soin de faire vivre l’épopée. Fabrice del Dongo dans “La Chartreuse de Parme”, jeune civil déguisé en soldat, prend part à la bataille de Waterloo.

Quant à lui, épuisé, malade, il échoue à Paris en 1813. L’année suivante, c’est la chute de l’Empire. La Restauration met fin à sa carrière. Fini les ambitions, fini les rêves de luxe ! Il a 31 ans. “Je suis tombé avec Napoléon, écrit-il, culbuté de fond en comble.” Pour vivre, il rédige à coups de plagiat, son premier livre, les “Vies de Haydn, Mozart et Métastase“, presqu’heureux de renoncer aux fastes de la vie mondaine. “Je suis blasé de Paris… J’étais bien dégoûté du métier d’Auditeur et de la bêtise insolente des puissants.” Doit-on le croire ? Écrivain dans l’âme, il n’a pas encore trouvé la forme littéraire dans laquelle il excellera, le roman et doit écrire à la hâte, pour survivre des ouvrages critiques, des compilations.

L’épopée napoléonienne (1799-1814) — 3