Retour à Milan
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Angela Pietragrua
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Sa situation matérielle devenue difficile, il décide alors de vivre en Italie, bien moins coûteuse que la France de la Restauration. Il retourne à Milan, cette ville aimable, celle de ses amours. Ce dilettante vivra sept ans dans la péninsule, sept ans de vie passionnée pour cet amateur des Beaux-Arts, de la musique, des paysages et des villes italiennes. Il court vers Angela le 10 août 1814. Mais son rêve se brise. Angela na que faire dun amant désormais sans ressources, sans avenir et qui, bien quaristocrate dans toutes ses fibres, prône des idées libérales suspectes aux autorités, les Autrichiens, nouveaux puissants qui règnent en Lombardie. Mme Pietragrua craint de safficher avec un ex-fonctionnaire impérial. Froide, embarrassée, elle lui conseille, alors, de voyager. Il sentend dire aimablement : Quun vainqueur de Moscou ne craignait pas le froid et quil pouvait faire un tour à Grenoble ! Douché, il obéit encore et toujours Mad in love pour Simonetta alias Angela. Il part mais sarrête à Turin. LItalie le retient, toujours au cur de lamant, cette fois blessé. Sa liaison avec Angela se traîne, jusquen 1815 exactement. Dans son Journal, il note sèchement : Coûte 4000 f par mois, coûte 4000 F de plus quune danseuse ordinaire à 200 F par mois. Puis il apprend que la belle volage le trompe ouvertement. Cest la rupture. La Sibylle sublime est devenue La catin sublime à la Lucrèce Borgia. Que faire dans une pareille situation ? Henri songe au suicide, à finir comme un jocrisse, par un coup de pistolet, écrit-il sobrement.
Heureusement, le beyliste sait faire face à leffondrement de ses rêves. Selon sa méthode, il fixe son esprit sur un autre objet dintérêt ou cherche des parades. Contre les peines de cur, il préconise drôlement : remède souverain, contre lamour, manger des pois. Bien mieux que cela, il voyage à travers lItalie. Chaque ville renferme des trésors artistiques, des merveilles qui ne déçoivent pas. Lesthète, déjà formé à la connaissance des Arts, observe et écrit. Il cogite les Mémoires dun touriste. Avant lui, lItalie a connu des hôtes illustres qui ont raconté leur voyage : de Montesquieu à ses contemporains Chateaubriand, Goethe, Byron, Madame de Staël, la liste est longue. Au XIXème siècle, létape en Italie est le tour obligé de tout artiste ou jeune homme de bonne famille. Mais cest Stendhal qui crée en quelque sorte le touriste moderne, le visiteur qui note ses impressions au gré de ses humeurs. En 1817, paraissent ses considérations touristiques, intitulées Rome, Naples et Florence, sous la signature de M de Stendhal, officier de cavalerie. Pour la première fois, il signe du pseudonyme qui limmortalisera. Curieusement, lui qui nest guère attiré par lAllemagne, dont il dénigre la musique, il choisit le nom dune petite bourgade germanique où naquit Winckelmann, savant archéologue, intention ironique probablement.
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Le Jugement dernier
de Michel-Ange
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La même année 1817, paraît aussi : lHistoire de la peinture en Italie. Dans ce livre, largement plagié, il développe des idées personnelles : il prétend par exemple, quil existe autant de types de beautés que lon peut dénombrer de races, de gouvernements et de climats. Il pense que le pays, la terre, la lumière, la langue forment lartiste imprégné de tous ces éléments qui se fondent intimement à sa propre nature. Ainsi, les peintres italiens quil aime ont-ils pour lui, le caractère de leur race et portent lhistoire de leur temps. En cela, il est original car il prend le contre-pied des idées en vigueur à son époque, notamment celles de Winckelmann, le théoricien, qui sappuient sur la théorie dun Beau idéal, fixe, intemporel. Le peintre français Delacroix appréciait fort sa description du Jugement dernier de Michel-Ange quil qualifiait de Morceau de génie. Stendhal aime rapprocher Dante de Michel-Ange, ces deux grands hommes que plus de deux siècles séparent (Dante mourut en 1321 et Michel-Ange est mort en 1564) : Comme le Dante, Michel-Ange ne fait pas plaisir, il intimide, il accable limagination sous le poids du malheur. (
) Chez Michel-Ange, comme devant le Dante, lâme est glacée par un excès de sérieux. Stendhal commente le Jugement dernier et le divise en onze groupes. Au milieu du 11ème, Jésus-Christ na point la beauté sublime dun Dieu, (
). Cest un homme haineux qui a le plaisir de condamner ses ennemis. Le 7ème groupe suffirait seul pour graver à jamais le souvenir de Michel-Ange dans la mémoire du spectateur qui sait voir. Jamais il ne fut de spectacle plus horrible
Ce sont les malheureux condamnés, entraînés au supplice par les démons. (
) Le seul sentiment que la Divinité puisse inspirer aux faibles mortels, cest la terreur ; et Michel-Ange semble né pour inspirer cet effroi dans les âmes, par le marbre et les couleurs. Quand les voûtes de la Chapelle Sixtine seront visibles à vos yeux, vous comprendrez combien il entre de vraie logique dans le talent de Michel-Ange, et combien, par conséquent, son mérite doit être durable ; il survivra même au souvenir du Catholicisme. Jugement clairvoyant, pleinement justifié aujourdhui.
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La Chapelle Sixtine
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Cette admiration pour luvre de lartiste quil contemple, fasciné, sur les murs de la chapelle vaticane, est parfois troublée par le chant des interprètes de musique sacrée. Prodigieusement agacé par ces voix qui transportent certains au septième ciel, il note et lon croit entendre son accent irrité : Je sors de la Chapelle Sixtine ; jai entendu les fameux castrats. Non, jamais charivari ne fut plus dégoûtant. Cest le bruit le plus offensant que jaie entendu depuis 10 ans. Des deux heures qua duré la messe, jen ai passé une heure et demie à métonner, à me tâter, à sentir (
) le ridicule de ces chapons sacrés qui chantaient cachés dans une cage. Lamateur dopéras bouffes ne pouvait trouver son compte à lécoute de ces voix angéliques ! Lextase quelles provoquaient chez nombre de ses contemporains, il léprouvait lui, devant certains tableaux de peinture italienne.
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