Stendhal

(1783-1842)

Un amoureux de l’Italie


La Sibylle de Guido Reni
Un jour, à Florence, le 22 janvier 1817, il visite l’église Santa Croce, le Panthéon florentin comme on l’appelle ; il demande à voir les fresques de Baldassare Volterrano, peintre du XVIIème siècle. “Là, assis sur le marche pied d’un prie Dieu, la tête renversée et appuyée (sur le pupitre du siège) pour pouvoir regarder au plafond, les Sibylles de Volterrano m’ont donné peut-être le plus vif plaisir que la peinture m’ait jamais fait ; elles avaient cette grâce qui, jointe au grandiose, me rend sur le champ amoureux. J’étais dans une sorte d’extase, par l’idée d’être à Florence et dans le voisinage des grands hommes dont je venais de voir les tombeaux. Absorbé dans la contemplation de la beauté sublime, je la voyais de près, je la touchais pour ainsi dire. J’étais arrivé à ce point d’émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les Beaux-Arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j’avais un battement de cœur. La vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber. Je me suis assis sur l’un des bancs de la place…"

Voilà bien décrit ce que l’on appelle aujourd’hui, le syndrome de Stendhal, en hommage à l’écrivain français qui, le premier, en accusa les symptômes. Vous avez sous les yeux la Sibylle de Guido Reni (1575-1642), ce peintre de l’école de Bologne, dont Stendhal disait qu’il “peignait la beauté céleste dans ses figures de femmes”. On dit qu’à Florence, chaque année, des dizaines de touristes sont frappés d’un malaise subit devant une œuvre d’art… Peut-être l’avez-vous expérimenté ?

Quant à Stendhal, la beauté lui donne le vertige, il aime cette sensation de trouble, de dérèglement sensoriel. Pour lui, est beau ce qui plaît et donne envie d’aimer, d’où sa formule : ”La beauté est une promesse de bonheur“. Henri Beyle est un sensualiste. Il veut qu’un tableau le touche, comme la musique. Raphaël et Le Corrège lui donnaient : ”… des émotions douces et voluptueuses du genre de celles qu’il demandait à la musique." Mérimée, ironique, écrit que son ami Beyle : ”prête des passions dramatiques à une Vierge de Raphaël.
La voilée de Raphaël
Narcisse de Caravage
Le peintre italien Le Caravage (mort en 1610) le touchait au plus vif. Il sut voir et reconnaître son génie, à une époque — début du XIXème siècle — où cet artiste était quasiment ignoré : “Le Caravage était probablement un assassin, mais je préfère cependant ses tableaux aux croûtes de M. Greuze, si estimable ! Que m’importe les qualité morales d’un homme qui par ses vers, sa musique, ses couleurs ou sa prose prétend, peut m’amuser !” Débat toujours ouvert. Voici une reproduction d’une œuvre de jeunesse du Caravage “Narcisse se mirant dans l’eau”, tout comme Stendhal quêtant sans cesse sa propre image, dans le miroir de son écriture transparente, si personnelle.

La Scala - estampe représentant
la salle au XIXème siècle

Bientôt il vivra, sur le mode dramatique, sa plus forte passion amoureuse qui naîtra, comme pour Angela, en Lombardie, dans la cité milanaise. À Milan, chaque soir, Stendhal s’enivre de musique et de ballets. Son cœur est vide mais les loges de la Scala sont bien remplies. Écoutons-le : ”Le théâtre de la Scala est le salon de la ville. Il n’y a de société que là — Nous nous verrons ce soir à la Scala — se dit-on pour tout genre d’affaires… Rien de plus doux, de plus aimable, de plus digne que les mœurs milanaises. Chaque femme est en général, avec son amant. Le cavalier servant de la dame fait ordinairement apporter des glaces, des sorbets. Il y a trois sortes : gelati, crepe, pezzi duri. C’est une excellente connaissance à faire.”Stendhal y rencontre Lord Byron, un soir d’octobre 1816 et croque un portrait flatteur de l’écrivain, l’archange du Romantisme.“ C’est une figure céleste. Il est impossible d’avoir de plus beaux yeux. Ah ! Le joli homme de génie…“Stendhal prend plaisir à le mystifier en lui racontant des anecdotes imaginaires sur Napoléon. L'humour naturel de Stendhal, que gobe le noble lord médusé, faisait merveille, paraît-il.

Retour à Milan (1814-1821) — 2