Stendhal

(1783-1842)

Un amoureux de l’Italie


Paris

"Sa tête de boucher italien
ornée d’énormes favoris noirs"
Le voilà de nouveau à Paris, où règne toujours le régime de la Restauration qu’il a baptisé : “le parti de l’éteignoir”. Tout lui est difficile. Son père est mort ruiné, il doit travailler, gagner sa vie et réussir. Pour un temps, l’Angleterre, Londres, les pièces de Shakespeare soignent son spleen. C’est un anglophile, il s’enorgueillit de n’écrire que pour des “happy few”. Il y aurait beaucoup à dire de ses relations avec l’Angleterre mais ce n’est pas notre propos.

Devenu un brillant causeur, il fréquente les salons parisiens de l’opposition libérale, où il se sent à l’aise. Il y promène sa lourde silhouette. On y voit beaucoup “sa tête de boucher italien ornée d’énormes favoris noirs”, tel qu’il se décrit lui-même. Stendhal a le sens du comique et sait manier l’autodérision. Il écrit dans les journaux, se fait une réputation enviable, des amis, dont Prosper Mérimée, de vingt ans son cadet. Henri Beyle vit à Paris comme à Milan.
La Pasta,
en costume de scène
Il va souvent à l’opéra et termine ses soirées chez la cantatrice Giuditta Pasta, où il rencontre beaucoup d’Italiens en exil. C’est en leur compagnie, dans le salon de madame Pasta qu’il compose son premier livre à succès : “La vie de Rossini”.

Rossini (1792-1868) est alors un musicien en vogue. Stendhal le connaît bien. Il l’a rencontré plusieurs fois à Milan de 1819 à 1821. Il aime sa musique pleine d’éclat, légère, mousseuse comme du champagne mais il le critique et n’oublie jamais de souligner ce que Rossini doit à Cimarosa, pour lui inégalable, celui qui touche au cœur. Ses héros sont comme lui. Dans la “Chartreuse de Parme”, on lit que : “Fabrice del Dongo pleurait à chaude larmes en entendant chanter les airs de Pergolese et de Cimarosa.” Il publie en 1827 la deuxième version de “Rome, Naples et Florence”. Cette année-là paraît, aussi, son premier roman “Armance”. Puis deux ans plus tard, “Les Promenades dans Rome”, où il se montre le plus aimable des guides romains : un touriste averti, plein d’ironie et de piquant, un flâneur qui glane au gré de ses humeurs, les sensations et les choses vues dans la Ville Éternelle, dont il jette des fragments délicieux aux yeux de ses lecteurs.

Giulia Rinieri
En France, les événements politiques s’accélèrent. Le règne des Bourbon s’achève avec la Révolution de Juillet et l’installation du Roi des Français : Louis Philippe. Stendhal écrit dans la fièvre de cette époque mouvementée. 1830 : année faste pour lui. Il met fin aux épreuves de son roman “Le Rouge et le Noir” appelé à la postérité que l’on sait. Pendant ces trois glorieuses journées de Juillet 1830, il séduit une jeune italienne, Giulia Rinieri qui lui fait des avances imprévues et flatteuses. Elle lui écrit, avec candeur : “je sais bien et depuis longtemps que tu est laid et vieux mais je t’aime”. Pourtant l’auteur, tout occupé à cristalliser autour d’une belle parisienne, Alberte de Rubempré, attendra deux mois avant d’entamer cette nouvelle liaison, tâtant son cœur, s'analysant sans cesse, réprimant ses élans comme le fera, son héroïne Mathilde de la Mole dans “Le Rouge et le Noir“, avant de succomber au magnétisme de Julien Sorel.

Paru en 1830, son roman “Le Rouge et le Noir” connaît un assez beau succès, salué par Goethe. Le nouveau régime plus libéral, lui ouvre des portes. Il sollicite un poste de préfet. Présenté à Guizot, Ministre de l’Intérieur, il n’a pas l’heur de lui plaire : trop spirituel, trop caustique, hors normes ! Qu’à cela ne tienne, il s’adressera au comte Molé, ministre des Affaires étrangères. Il lui écrit cette supplique, humble et ironique à la fois, dont j'extrais quelques lignes : “M. Beyle, pénétré de reconnaissance qu’on le trouve bon encore à quelque chose, malgré ses 47 ans et ses 14 ans de service, expose qu’il est absolument sans fortune. M. Beyle désirerait une place de consul général à Naples, Gênes, Livourne, etc…

Il sera envoyé à Trieste, territoire autrichien. Mauvais présage ! Il quitte Paris le 6 novembre. La veille de son départ, il a demandé Giulia en mariage à son père adoptif, Daniello Berlinghieri. Il lui écrit plutôt maladroitement :”C’est peut être une grande témérité à moi, pauvre et vieux de vous avouer que je regarderais le bonheur de ma vie assuré si je pouvais obtenir la main de votre nièce. Ma fortune, à peu près unique, est ma place.” Place peu assurée au demeurant. Berlinghieri, le tuteur, fait une réponse évasive, assez décourageante. Beyle quitte Paris sans trop d’espoir.

Paris (1821-1830)