Stendhal

(1783-1842)

Un amoureux de l’Italie


Sanseverina - Maria Casares
dans le film de
Claude Autant Lara
C’est cette sorte d’amour qui imprègne les pages de la “Chartreuse de Parme”. A l’origine un vieux manuscrit, la vie aventureuse d’Alexandre Farnèse, le futur pape Paul III. Il y puisera les éléments de son chef d’œuvre romanesque qu’il écrira en sept semaines à Paris, de novembre à décembre 1838. Il y fait revivre les souvenirs lumineux de sa chère Italie du temps qu’il était officier des dragons et qu’il aimait l’insensible Angela Pietragrua. Stendhal nous raconte l’histoire de Fabrice del Dongo, sorte d’alter ego romanesque, né de mère italienne et de père français. Les deux héroïnes, peintes dans ce roman, empruntent leurs visages, leur caractère, leur charme à toutes les femmes qu’il a aimées sur la terre italienne, source de ses amours les plus vives. Angela, Métilde, Giulia revivent sous les traits de Clelia Cont et de Gina, la Sanseverina : figures voluptueuses et idéales comme il les voit sur les toiles du Corrège, de Raphaël et de Guido Réni. Pour nous elles sont inoubliables. Ce congé parisien — trois mois qui durent trois ans jusqu’en 1841 — a permis cet exploit. Dans la fièvre, il dicte chaque jour 22 à 24 pages dans une improvisation géniale.

Quant à la Chartreuse, ce couvent, qui donne son titre au roman, (aujourd’hui située à 4 kilomètres au Nord-Est de Parme), il n’est pas un monument particulièrement apprécié de Stendhal. Mais le Consul de France brouillé avec la police autrichienne, ne pouvait situer l’action de son roman, dans la Lombardie-Vénétie, état satellite de l’Empire austro-hongrois. Cette puissance autrichienne qu'il déteste, nous la trouvons symbolisée, dans son roman, par la Tour Farnèse, ce monument purement imaginaire que Stendhal installe en plein cœur de la ville de Parme. Dans cette tour fantastique vit Clelia, la fille du gouverneur qui prend le cœur de Fabrice del Dongo. Clelia aime Fabrice, lui-même adoré de sa tante la Duchesse, La Sanseverina. Celle-ci aime son neveu d’une passion extrême par delà le bien et le mal. C’est une figure troublante au charme incomparable, comme la musique et la grâce allègre de la prose stendhalienne.

Cette œuvre provoqua l’enthousiasme de Balzac qui cria au génie — il fut l’un des rares contemporains de Stendhal à l’apprécier — il lui écrit : “Ah ! c’est beau comme l’italien et si Machiavel écrivait de nos jours, un roman, ce serait la Chartreuse. Vous avez expliqué l’âme de l’Italie.” Quel hommage !

Après cela en août 1841, Stendhal peut regagner le rivage solitaire de Civita-Vecchia, maudire le sort, les malaises de l’âge, la vieillesse ennemie… Lutter contre l’ennui. Il peut encore connaître ”des oasis dans ce désert de vie”, s’éprendre d’une belle romaine qu’il baptise “Earline”, nouer une amitié avec le peintre suisse Abraham Constantin. Il peut s’intéresser aux fouilles étrusques avec l’archéologue Donato Bucci, son ami, et puis écrire, écrire pour se sentir vivant : le portrait d’une femme affranchie, libérée dirions-nous “Lamiel”, peinture inachevée. Le temps presse, l’apoplexie le frappe.
Dix ans auparavant en 1832, dans les “Souvenirs d’égotisme”, il s’était plu à rédiger son épitaphe en italien : Un passeport pour demeurer éternellement, en Italie après sa mort.

 

“Henri Beyle

Milanais

il vécut, écrivit, aima.

Cette âme

adorait

Cimarosa, Mozart et Shakespeare.

Il mourut à l’âge de …

en 18…”

Stendhal mourut à Paris en 1842, à l’âge de 59 ans. On peut lire sur sa pierre tombale, au cimetière de Montmartre, une épitaphe plus laconique : “Arrigo Beyle — Milanese” : trois mots qui disent encore son amour le plus long, pour l’Italie. Son tombeau, à Paris, mais ses mânes à Milan, à Florence, à Venise, à Rome, à Naples. Sûrement dans la cité napolitaine où il désirait s’endormir pour toujours : “je voudrais, après avoir vu l’Italie, trouver à Naples l’eau du Léthé, tout oublier et puis recommencer le voyage et passer mes jours ainsi.” Nul doute que son âme passionnée et son esprit lucide voyagent, hantent ces lieux que nous aimons revoir. Stendhal, amant de l’Italie est le meilleur des guides pour qui veut goûter et sentir ce pays. Vous avez, sous les yeux, l’un de ses derniers portraits peint par Dedreux-Dorcy, en 1839, trois ans avant sa mort, que l’on peut voir au musée de Grenoble. Voici Stendhal : “Tel qu’en Lui-même enfin l’éternité le change” (Mallarmé) et qu’aiment le regarder ses vrais lecteurs, les beylistes d’aujourd’hui, chaque jour plus nombreux, qui savourent dans son œuvre, sa langue vive, nette et cet amour du vrai si communicatif qu’il donne le bonheur.
Stendhal peint par Dedreux-Dorcy

Consul de France (1830-1842) — 3