Jeudi 19 avril 2001

La Canée et ses environs

Andreas

Taverne Apostolis

Aptéra

La Canée

Musée Archéologique

Monastère Haghia Triada

Monastère de Gouverneto

Tombes des Venizelos

Hôtel Kydon


Réveil matinal sous un clair soleil printanier qui dilue les brumes du sommeil. Après un petit déjeuner roboratif, reposés, nous retrouvons Andréas qui nous guidera et nous instruira tout au long de ces dix journées de visites. Il nous berce de paroles bienvenues, convenues, de bons conseils aussi. Nous apprendrons à l’apprécier, à supporter parfois sa logorrhée verbale - “Doux clapotis sur cailloux ronds“. C'est l'image qui me vient à l'esprit pour le caractériser.

Ce matin, dans le car, nous l’observons. Il est brun, jeune et solidement bâti. Sérieux, poli, souriant, Andréas est attentif à tout, soucieux de mener à bien sa tâche de mentor expérimenté face à ces budistes d’Orléans, voyageurs aux solides bagages. Il ne se contentera pas d’être un cicérone cultivé, il se voudra le plus savant des guides, parfois disert et fatigant, toujours intarissable quand il s’agit de parler de son île bien-aimée, sa Crète au passé prestigieux. Nous serons sages, à l'écoute, même si à l'arrière du car, comme au fond d’une classe, brouhaha et plaisanteries sont de rigueur. On ne s’y ennuie pas.


Ce beau matin d’avril, nous quittons donc le joli port de la Canée pour visiter le site antique d’Aptéra.

Nous longeons la baie de Souda magnifiquement échancrée qui dessine à l'ouest la péninsule d'Acrotiri. En regardant au sud, nous admirons les beaux sommets neigeux des montagnes blanches (Lefka ouri) : splendide panorama.

Puissante ville de Crète, la légende dit qu'Aptèra (qui signifie sans ailes) doit son nom à de belles sirènes recalées au concours de musique. Les muses, pour les punir, leur coupèrent les ailes. Atrophiées, malheureuses comme des pierres, elles voulurent s'envoler. Mais les Aptères tombèrent dans l'eau bleue de la baie, formant les petites îles qu'on aperçoit au loin, plumetis sur la mer.

Aptéra existait à l'époque minoenne, avant de devenir une ville-état, puis un centre hellénistique important. Son commerce s'accrut à l'époque romaine et byzantine. Mais elle fut détruite au septième siècle de notre ère. Aujourd'hui, elle n'offre plus que ruines.

Sur le site, nous irons à la recherche du passé. Difficile d’imaginer que ces lieux écartés et tranquilles aient pu, un jour, être animés, bruyants, couverts de temples, de villas, de bains, de monuments publics. Nous foulons ces vestiges incertains. Seules trois citernes maçonnées et voûtées semblent défier le temps. Réserves d'eau, elles évoquent le génie constructeur des Romains. Nul mieux qu'Alain Malissard ne sait évoquer la civilisation romaine, faire revivre l'ingéniosité de ces bâtisseurs d'aqueducs. Une citerne suintante d'humidité comme celle que nous voyons, c'est toute une histoire d'eaux libres puis canalisées, un retour aux sources du Tibre, vers la belle Italie, mon pays d'élection.

Cette flânerie instructive sur le site d’Aptéra a fait pousser nos ailes voyageuses, faisant mentir le nom bien terre à terre de cette ville morte.

Retour à La Canée (Chania en grec), construite sur la ville antique de Kydonia (centre minoen important). Les Vénitiens dessinèrent le profil du port en 1252 et l'appelèrent Canea. Lorsque la Crète fut libérée du joug turc, en 1898, La Canée devint la capitale. C'est aujourd'hui la deuxième ville de Crète (50 000 habitants).

Nous effectuons une courte promenade dans cette ancienne capitale de l'île, empreinte des influences Vénitienne et Turque. La vieille ville est pittoresque. Le quartier Kasteli porte la trace des Vénitiens : palais, loggias, fontaines rappellent l'Italie. L'église Haghios Nikolaos, flanquée d'un campanile et d'un minaret marie les deux influences. On reconnaît les maisons vénitiennes à leurs escaliers extérieurs, les maisons turques à leurs avancées de bois, sortes de lits clos à claire-voie pour regarder sans être vu.


Consultez le site web de la Municipalité de La Canée (en anglais)


Après avoir longé la Cathédrale dédiée à la Présentation de la Vierge (Trimartyri), nous arrivons devant le Musée Archéologique. Autrefois monastère franciscain, il a tout le charme des lieux conventuels. Nous avons sous les yeux des objets trouvés dans la région, sur les sites Aptéra et d'Arménie : sarcophages, amphores, pyxides, bijoux, coupes d'argiles, objets funéraires….

Dans la cour le tombey

Ce musée tranquille nous offre l'occasion de flâner, d'échanger nos impressions et de nous familiariser avec les productions des artisans crétois, habiles à travailler l'argile, la stéatite et les métaux. Nous aurons bien d'autres sujets d'admiration et de curiosité au cours de ce voyage.

Avant de déjeuner nous allons en balade sur le petit port. Son phare, en forme de minaret, rappelle l'occupation turque et les arsenaux maritimes celle de Venise. Une mosquée trapue porte une coupole blanche entourée de mamelons sagement ordonnés autour de sa masse sphérique. Elle m'apparaît comme une pâtisserie quelque peu indigeste. Quand nous y entrons aujourd'hui, c'est pour trouver l'Office du tourisme.

Une agréable pause-déjeuner, à la Taverne Apostolis, nous apporte un délassement attendu. Belle lumière sur la mer.


Après déjeuner, nous montons dans le ciel comme transportés à tire d'aile sur les hauteurs d'Acrotiri. Notre coursier rapide nous dépose dans les bras de l'église du Monastère d'Haghia Triada. La trinité crétoise nous invite dans son pieux sanctuaire.

Ce monastère fondé au XVIIème siècle abrite une école de théologie. Son portail élégant de style classique et son campanile disent encore une fois l'influence italienne. Nous admirons les tons ocrés de la belle façade baroque aux sinuosités douces, traversons un jardin délicieux, tout rempli d'orangers, puis entrons dans l'église. Le plan est en croix grecque inscrit dans un carré. Elle est sombre et voûtée, ramassée sur elle-même. Au fond du sanctuaire brille l'iconostase. C'est le radieux sourire de cette forme sombre aux rondeurs accueillantes. Dans chaque église de ces monastères byzantins nous retrouvons les mêmes lignes, la même pénombre trouée de lumière, celle des icônes peintes sur cette cloison dorée qui sépare la nef du tabernacle. Première impression forte de nature religieuse, dans cet espace qui nous paraît bien sombre après l'éclat du jour.

Au fil de nos visites nous passerons ainsi de la lumière à l'ombre, de l'ombre à la lumière, marqués différemment : des vestiges pierreux inondés de soleil, les yeux fixés à terre ou levés vers le ciel en recherche des ombres des anciens Minoens, ceux qui dansent gracieux sur les fresques murales des musées de la Crète. Nous irons chaque jour, de ces vestiges antiques au giron reposant des chapelles ombreuses. Il nous arrivera d'y goûter une sorte de paix après avoir marché sur les sites déserts en quête des blancs palais, disparus dans le temps et que l'on voit parfois en fabuleux mirages. Alors, pour un instant, les ruines se relèvent. Les murs se dressent hérissés des cornes du taureau qui sculptent le ciel vide d'une hache à deux lames, emblème percutant des rois Minos. Tout à coup sous nos yeux les sveltes acrobates dessinent dans l'air léger des courbes fulgurantes, au-dessus des taureaux, pendant que des jeunes filles mystérieuses et offertes serrent des serpents au poing et que des singes dansent, au milieu du safran, enivrés de soleil.

Nous franchissons les siècles, entrons dans les églises pour revenir aux sites des anciens minoens. Ces jeux d'ombre et lumière ont rythmé nos journées.

Nous quittons Haghia Triada et son charme paisible pour Moni Gouverneto — monastère Notre-Dame-des-Anges — situé à quelques kilomètres du premier monastère. Il a l'allure d'une forteresse un peu rébarbative, mais s'ouvre sur un beau jardin clos plein de l'odeur des citronniers.

Dans son enceinte, deux églises : l'une grande, imposante s'appelle la Panhagia Theotokos (Notre-Dame Mère de Dieu). Sa façade baroque, surmontée de trois clochetons inscrits dans une architecture de béton gris, est assez disgracieuse, mais l'intérieur ne déçoit pas. L'autre église, plus petite, est consacrée à Saint Jean l'ermite ou l'étranger. Vibrant éclat des icônes que nous allons admirer. Nous laissons à regret le jardin monastique qu'on voudrait cultiver. Mais le car nous attend.

Il piaffe déjà et nous porte vers le mausolée d'Elefterios Venizelos (1864-1936), non loin de La Canée. Cet homme remarquable, francophile convaincu marqua de son empreinte la destinée de la Grèce, pendant près d'un demi siècle.

Héros de la Résistance grecque à l'occupant turc, il est l'une de ces belles figures indomptables qui donnent vie aux propos de Nikos Kazantzakis, son ami : "il y a en Crète une sorte de flamme, disons une âme, quelque chose de plus fort que la vie et la mort... Il y a la fierté, l'obstination, la bravoure... " (Lettre au Greco). La tombe de Venizelos, mort à Paris, est située sur une terrasse dominant la mer. Deux grandes croix indiquent l'emplacement des tombeaux du père Elefterios et de son fils Sophoclis.

Retour à l'Hôtel Kydon, repas au restaurant de l'Hôtel que nous quitterons demain matin pour Santorin.



©cviviani