Vendredi 20 avril 2001

Réthymnon - Musée Archéologique

Cimetière Armeni

Restaurant Dionysos

Réthymnon

Heraklion

Musée Archéologique d'Héraklion

Ferry "El Greco" vers Santorin

Hotel Daedalos - Thera


Un nouveau jour se lève. Le soleil sera couché à Santorin quand nous y débarquerons, ce soir, très tard dans la nuit sombre. Nous quittons La Canée, son charme particulier et faisons route vers Réthymnon où nous déjeunerons.

Au sud de la ville, à quelques kilomètres, s'étend le cimetière d'Arméni, objet de notre première visite. Vaste nécropole, elle compte environ 200 tombes rectangulaires. Elle servit de lieu de sépulture entre 1300 et 1150 avant Jésus Christ. C'est l'une des plus grandes de Crète

Les fouilles ont dégagé une tombe mycénienne remplie d'objets funéraires dont un curieux casque de guerrier garni de dents de sanglier, que l'on peut voir au musée d'Héraklion. Homère décrit un casque analogue porté par le héros crétois Mirionis. Les objets exhumés sont exposés au musée archéologique de La Canée où nous les avons vus hier. Près de cette vaste nécropole, on s'attendrait à trouver les traces d'une ville. Curieusement, aucun vestige d'une cité n'a été découvert, et pourtant la ville ancienne devait être importante à en juger par l'étendue du cimetière.

Nous imaginons les corps couchés dans les sarcophages d'argile, ou bien à même la terre sans momification, retournée à Gaïa, la déesse mère reprenant ses enfants dans ses entrailles ouvertes. Nous descendons les marches d'un escalier pentu conduisant à un caveau funèbre. La chambre mortuaire soutenue d'un pilier laisse deviner une niche d'offrandes. Des banquettes font le tour de ces caveaux. Les ex-voto, dont elles s'ornaient, sont visibles aujourd'hui sous les vitrines des musées. Nous fuyons ce lieu froid peuplé d'ombres, remontons en surface pour trouver le soleil.

La nature rit dans sa floraison de printemps. Les rebords de quelques tombeaux, lèvres écartées, s'ouvrent dans l'herbe fraîche. Ils regorgent de fleurs sauvages, semblables à un charmant sourire adressé aux vivants, en visite au royaume des morts. Les coquelicots, mêlés aux mauves orchidées, culbutent les orchis jaune brillant. Cette éclosion joyeuse éloigne de nous toute idée mortifère. Penchée sur elle, je respire et me souviens : "Un frais parfum sortait des touffes d'asphodèles." Réminiscence poétique : Victor Hugo n'est jamais loin. Le soleil nous incite à flâner au milieu de ces ruines, en ce printemps tout neuf. Nous l'attendions ce renouveau, touristes frileux et pâles à peine sortis de nos brumes nordiques. Songeurs, l'esprit dans l'au-delà, nous grimpons dans le car, filons vers Réthymnon. Au restaurant Dionysos, des nourritures terrestres nous remettront d'aplomb.


L'entrée dans la ville de Réthymnon par une porte d'allure médiévale, nous prépare aux petites ruelles commerçantes, aux maisons vénitiennes, au minaret turc. Le vieux port est rempli de tavernes, de restaurants typiques et de bars-terrasses.

Quelques belles images de Réthymnon sur d'autres sites : c'est par ici ou par là.

C'est sur le port de Réthymnon que se trouve le restaurant Dionysos où nous déjeunons ce midi. Nous nous y restaurons avec appétit.

L'après-midi sera consacrée à la ville d'Heraklion, particulièrement à la visite de son Musée Archéologique. Signalé par Strabon comme l'ancien port de la cité minoenne de Knossos, Heraklion gardera son nom jusqu'à la prise de la Crète par les sarrasins. Plus tard, on l'appela Candie. L'Occident appela ainsi la Crète tout entière jusqu'au XXème siècle. Il ne reste presque rien aujourd'hui des époques antiques, sarrasine ou byzantine. On sait que Candie connut une brillante renaissance culturelle avec l'occupation vénitienne. Des personnalités fréquentèrent le collège réputé d'Haghia Ekaterini dont le peintre Théotokopoulos, dit El Greco. Aujourd'hui il abrite des expositions d'art religieux. Les Ottomans reprirent la ville aux Vénitiens et l'occupèrent jusqu'en 1923. Après maints affrontements, en 1971, elle devint capitale de la Crète. De nos jours, c'est la plus grande ville de l’île avec 100 000 habitants.

Plus tard, nous aurons quelques moments pour flâner dans les rues, prendre un ouzo sur le Platia Venizelos, ornée de la fontaine Morosini, ou faire quelques achats. Pour l'heure nous avons rendez-vous au musée d'Heraklion.

En cliquant sur : ville d'Héraklion, vous pouvez accéder au site municipal.

Le Musée Archéologique d'Héraklion. C'est une splendide réserve remplie des trouvailles provenant des fouilles effectuées dans toute la Crète. La très ancienne histoire de l'île, du néolithique (5700 avant J.-C) au monde gréco-romain s'illustre dans les nombreuses salles de ce remarquable musée. Beaucoup de visiteurs se pressent dans la première salle, où se perdent les commentaires d'Andreas. On l'entend mal dans le brouhaha ambiant, mais déjà les objets tranquilles se mettent à vivre sous leurs vitrines claires. Il serait trop long et fastidieux de les énumérer. Chacun de nous y respire et butine à son aise, caressant du regard quelques merveilles, soupesant, évaluant, planté béat devant certains objets.

On y trouve des spécimens des époques minoennes (2700 à 1200 avant J.-C), qui sont de purs chefs d'œuvre. La céramique est reine : vases aux lys blancs, théière à long bec d'oiseau fouineur, aiguière à libation hérissée d'excroissances. Partout c'est une floraison de papyrus, de roseaux, de crocus et d'épis. On voit danser des poulpes cernés de coquillages sur les rondeurs d'un beau rython conique. Style végétal et style marin cohabitent en harmonie pour célébrer la vie.

Le vase des moissonneurs retient notre attention : découvert sous les décombres de la Villa d'Haghia Triada, que nous verrons plus tard, il est couleur de bronze luisant décoré de reliefs. C'est un rython orné d'une procession d'hommes ayant travaillé dans les champs. Des chanteurs les accompagnent. Un des moissonneurs trébuche, un autre se retourne vers lui. Arrêt sur image. Geste figé dans le temps qui s'écoule. Tant de merveilles à énumérer ! J'en revois quelques-unes.

Une salle très attendue, celle des fresques minoennes. Céramistes, coloristes, potiers, sculpteurs, les artistes crétois furent aussi remarquables fresquistes. Les scènes peintes s'inspirent de la vie quotidienne, des cérémonies, des processions, de la nature omniprésente dans chaque objet représenté. On y sent une allégresse, une joie de vivre si communicative que nous en sommes touchés, malgré la fatigue qui nous gagne peu à peu. Nos pas se font pesants mais l'oiseau bleu peint sur le mur, qui volète encore vivant dans son jardin fleuri, nous redonne des ailes. Le cueilleur de safran se plie comme un roseau, sa grâce végétale nous parle de l'harmonie de ce monde chatoyant.

Non loin de là, l'œil charbonneux d'une belle crétoise nous fixe grand ouvert. Cheveux frisés, bouche pulpeuse, elle se montre coquette dans ses beaux vêtements. Le surnom de Parisienne dont on l'affuble, me paraît incongru dans cette île exotique et chaude de la Méditerranée.

Tant de beautés à décliner ! Je me souviens aussi des vases de Kamarès d'une beauté fragile propre à vous étonner. Les plus beaux exemplaires de ces vases finement moulés furent découverts à Phaistos.

Certains, splendides, s'ornent de fleurs épanouies d'un blanc crémeux. D'autres sont décorés de poissons, de filets, de vaguelettes peintes. Ces cratères, ces rythons, ces assiettes polychromes devaient orner quelques tables princières. Quand nous marcherons sur le site désert de Phaistos, nous pourrons, à loisir, faire revivre ces banquets royaux tout animés de libations joyeuses, de processions dansantes.

Nous faisons cercle autour d'un objet de terre cuite : un petit disque d'argile trouvé à Phaistos, gravé d'une écriture hiéroglyphique à ce jour inconnue. Seuls quelques outils ou animaux ont pu être identifiés.


Un sarcophage peint, trouvé sur le site d'Haghia Triada, est l'une des pièces les plus intéressantes de ce musée de Crète, l'île aux trésors. Richement coloré, il montre une procession d'hommes et de femmes porteurs d'offrandes. Il est daté de l'époque où les Mycéniens dominaient la Crète de Minos.

Nous aimons la fraîcheur tendre des coloris, le hiératisme profilé des silhouettes : visages pâles, têtes rouges alternent comme les notes d'une musique silencieuse dont nous ressentons l'harmonie. Doubles haches, cornes de consécration évoquent le rituel rendu à l'animal sacré, le taureau.


Affluent d'autres images, d'autres figures faites pour nous charmer. Les jeux du taureau, sortes de cérémonial, intéressaient hommes et femmes. Une fresque splendide nous les montre, dans les phases successives de ce jeu appelé taurokatapsie.

Les dauphins bleus s'ébattent dans l'eau claire, les perdrix se reposent, les grands lys blancs jaillissent, nous éclaboussent. Ces fresques nous enchantent.

Le Prince aux fleurs de lys, peint sur fond rouge, présente sa silhouette fine d'éphèbe blanc, couronné de plumes de paon. Ses longs cheveux crêpelés font des vagues ondulantes, ses pieds s'ancrent sur la terre ferme. Son corps dressé est une flamme d'énergie pure. Tel qu'il est devant nous, il s'inscrit à merveille dans les quatre éléments qui sont notre univers. Né de la terre qu'il tient en son pouvoir, il prend la mer, poussé par le souffle du vent. Il part en conquérant, la flamme de son cimier fend l'air comme une étrave : c'est le prince de la thalassocratie crétoise triomphante.


Autres figures inoubliables parmi les objets cultuels : les Déesses aux serpents, sculptées dans la faïence, elles furent découvertes dans le trésor du sanctuaire, au palais de Knossos. Deux idoles, deux prêtresses, mère et fille ? Jupes en cloche, corsages bien ajustés d'où sortent des seins nus, elles sont étranges ces manieuses de serpents qu'elles semblent apprivoiser, dominer, envoûter. Taureaux, serpents, animaux-cultes, totems sacrés ils s'imposent partout, redoutables et secrets au milieu des scènes bucoliques où fleurs, poissons, coquillages et poulpes disent la joie de vivre et de créer. Fragments épars d'un paradis perdu.


Avant de quitter ce musée exemplaire, je caresse du regard et soulève un long vase tout de cristal de roche, orné de perles brillantes, trouvé au palais de Zakros. Je bois dans le gobelet du chef, vieux de 3600 ans, j'orne mon cou du superbe bijou d'une belle minoenne : pendentif aux abeilles, il fut trouvé sur le site de Malia.

Je salue au passage un splendide rython en tête de taureau. Le mufle bestial de stéatite noire veinée de blanc dresse avec élégance, deux cornes dorées lisses et acérées. Elles jaillissent comme des flammes du crâne épais, rappelant la nature divine de l'animal sacré, un avatar de Zeus, puissance tutélaire. Qu'il veille sur notre traversée nocturne et maritime vers Santorin !

Vous pouvez, quelques instants nous quitter, pour parcourir les pages que le Ministère de la Culture Grec consacre au Musée Archéologique d'Héraklion. Comme la culture grecque vous intéresse vous pouvez aussi naviguer sur "ODYSSEUS, the WWW server of the Hellenic Ministry of Culture" (Eh, oui ! Il ne sait parler qu'anglais).

Le tohu-bohu de la ville trépidante nous saisit au sortir de ces salles aux trésors. Nous sortons les mains vides, la tête un peu confuse : chapelets de bijoux, colliers d'or, bagues gravées de formes exquises, tout se confond dans un brouillard doré.

Après rafraîchissement, repos, balade, nous voici sur le port. Il est 18 heures le ferry "El Greco" repose à quai. Nous nous engouffrons dans les soutes de l'énorme baleine qui nous déposera sur l'île Santorini, après quatre heures de traversée. La mer est placide, le repas convenable.

Le temps passe en agréables commentaires. Nous débarquons dans la nuit noire sur l'île volcan qui se dresse imprécise. Un car nous attend, il grimpe à l'assaut de ses flancs, sous un ciel chargé de nuages.

Bientôt l'Hôtel Daedalos de Thera nous ouvre les portes du labyrinthe. Chacun gagne son gîte, tous recrus de fatigue. Bonne nuit, à demain…